CHAPITRE 73. Worried

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Comme elle le pensait, quelqu'un finit par entrer dans le cabinet dans la matinée. À dix heures et douze minutes très exactement.

Elle avait passé très exactement sept heures, quarante-quatre minutes et cinquante-trois secondes là, à attendre.

Les inspecteurs eurent un mouvement de recul en la trouvant, avachie dans sa chaise, en train de les fusiller de ses deux grands yeux de glace. Angela, qui se trouvait derrière eux, fit de même. Mais elle avait l'air beaucoup moins surprise qu'eux.

Ainsi positionnée, à les attendre depuis plusieurs heures, sans avoir fermé l'oeil de la nuit, elle n'avait rien d'amical, ni de rassurant.

L'un des deux inspecteurs, Ethan, s'avança plus que l'autre, prêt à parler.

Abigail ne lui en laissa pas le temps, se levant d'un coup.

- Vous n'avez pas la parole, vous allez juste m'écouter.

Sa voix était de glace. Ce n'était pas la Abigail qui devait tenir son rôle qui parlait, c'était celle qui venait de passer une des pires nuits de son existence.

Tout avait commencé la veille, lorsqu'elle avait appris, en laissant traîner ses oreilles dans les conversations aux alentours, que Reyes était de retour. Deux choses l'énervèrent passablement dans ce qu'elle entendit. Premièrement, cela faisait à priori plusieurs heures qu'il avait refait son apparition, et personne ne l'en avait informé. Secondement, il était blessé. Gravement blessé. Ce dernier point ne faisait qu'alourdir le premier.

Curieuse de voir si ses suspicions étaient fondées, elle fit tout son possible pour croiser les deux inspecteurs. Elle n'eut aucun mal à leur tomber dessus : ils rodaient dans les couloirs.

Et comme elle le pensait, ils ne lui dirent absolument rien de la supposée nouvelle. Elle afficha le plus faux sourire qu'elle put et les laissa repartir à leurs occupations.

C'est donc non pas la Abigail avec son faux rôle de prétendante au trône de Reyes, qui pénétra ce soir-là dans le cabinet, mais bien celle qui était sincèrement scandalisée par les nouvelles qui n'étaient pas arrivées jusqu'à ses oreilles - enfin si, mais pas de la bonne façon.

Elle avait passé l'entièreté de la nuit dans le cabinet, presque tout le temps sur sa chaise. Elle s'était levée quelquefois cependant, pour aller boire un verre d'eau ou pour se rapprocher de Reyes, et l'observer. Elle avait passé de longues minutes à le toiser, en silence. Et plus elle trouvait de nouvelles blessures et de raisons de s'inquiéter avec, plus sa colère sourde s'intensifiait. Il était dans un état lamentable. Quelque chose s'était produit, entre le moment où elle l'avait vu et le moment où il était revenu ici. En plus de sa plaie à l'épaule, il avait beaucoup d'autres blessures, et était vraiment bien amoché.

Abigail ne pouvait plus le nier. C'était d'une facilité exemplaire que de faire semblant de détester Reyes lorsqu'elle s'adressait à lui de répondre à ses provocations, mais faire de même en parlant aux autres... Elle n'y arrivait pas. Ils l'avaient déjà vu en tant que traîtresse une fois, elle n'avait vraiment pas la force de repasser à travers ce chemin tortueux.

C'est ainsi qu'elle avait patienté toute une nuit, prête à dire aux inspecteurs ce qu'elle pensait de leur choix abject de ne pas l'informer du retour de son supérieur.

- Vous avez un certain culot pour croire que vous avez le droit de ne pas m'informer du retour de Gabriel Reyes ici, surtout vu l'état dans lequel il se trouve.

Ethan ne répondit pas. Il se contenta d'attraper rapidement le flingue à sa ceinture et de le pointer sur Abigail. Mais il n'était toujours pas assez vif. D'un coup de pied bien placé, elle le désarma, et l'arme partit glisser sous le lit inoccupé à côté de celui de Reyes.

- Vous n'apprenez donc jamais. Je vous ai dit de me laisser parler.

Blessé dans son ego mais désireux de conserver sa vie - sentant que la femme face à lui était prête à foutre en l'air la sienne juste pour le plaisir d'avoir le droit de le tuer - il ne dit qu'une chose.

- Vous êtes suspecte numéro un dans l'affaire de sa disparition mademoiselle Kinshington. Ce n'est qu'une procédure.

- Je m'en fous ! répondit-elle du tac au tac en pointant son doigt tremblant vers lui. Je n'en suis pas moins humaine, pas moins inquiète ! Vous ne me deviez en aucun cas de me laisser le voir avant d'avoir fini vos foutues procédures, de soin ou d'interrogation. Mais de me laisser savoir qu'il est ici et en vie, c'est obligatoire.

Elle avança d'un pas vers eux. Ses yeux lançaient toujours des éclairs. Elle attendait visiblement une réponse. L'inspecteur tenta de garder sa contenance.

- Vu l'état dans lequel nous l'avons retrouvé, nous avions des doutes quant à votre innocence. Et le fait que nous vous trouvions dans sa chambre dans son état... Nous aurions largement pu vous arrêter juste pour ça.

- Angela comptera à nouveau ses blessures, répondit-elle la voix tremblante de colère. Je vous assure qu'il n'y en a pas une de plus. Je vais vous laisser faire vos procédures à la noix, l'interroger, l'ausculter, et j'en passe. Mais entendez-moi bien. Si vous me refaites un coup comme ça, je me fiche pas mal des conséquences qu'il y aura : je vous tuerais tous les deux.

Ethan regagna un peu de contenance face à de telles paroles

- Êtes-vous en train de proclamer des menaces de mort à notre encontre en plein jour et avec témoin mademoiselle Kinshington ?

Elle afficha un large sourire. Et fit un pas de plus. Elle n'était qu'à une vingtaine de centimètres de l'inspecteur Petersen.

- Voulez-vous que je me répète ? Je viens d'un endroit, inspecteur, où les menaces ne sont jamais lancées en l'air.

L'inspecteur sourit à son tour.

- Soyez assurée que si vous êtes coupable dans cette affaire, nous réussirons sans aucune peine à le prouver et à vous envoyer en enfer mademoiselle Kinshington.

Elle le toisa un moment sans rien dire.

- Bien. Faites votre travail alors. Prouvez-moi que j'ai tort. Et dès que j'aurais le droit de le voir, prévenez-moi. Ou ne le faites pas. À vos risques et périls.

Abigail passa sans rien ajouter à côté des deux inspecteurs, mais fut interceptée à la sortie par Angela, qui lui attrapa le bras.

- Fais attention Abigail, dit-elle d'un air faussement menaçant. Ne joue pas à ce jeu-là.

La jeune femme aux cheveux noirs fronça légèrement les sourcils. Elle soupira légèrement, et une fois que le médecin eut décidé de lâcher prise, elle sortit du cabinet et ferma la porte derrière elle. Une fois dehors, elle vérifia que personne n'était là, et sortit du repli de sa manche le papier qu'avait coincé là la jeune femme blonde, quelques secondes auparavant.

Après avoir lu ce qui était écrit, elle parvint à une conclusion toute simple, qui allait de toutes évidences, déboucher sur beaucoup plus de questions que de réponses : elle allait encore passer une nuit sans dormir. 

Le silence est d'or, le silence de la mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant