Chapitre 2

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Kay


Il n'avait pas ouvert la bouche. 

Comme Dario avait prévenu, on avait prévu de rentrer en six ou sept jours.

Au bout de quatre, le garçon n'avait pas bronché. Endormi durant les premières heures, au réveil, son visage s'était comme éclairé face aux paysages. On aurait cru qu'il n'avait jamais vu les montagnes, qu'il n'avait jamais parcouru autant d'étendues d'herbes, jamais bu à la rivière. Bathy l'avait installé sous un sac de couchage près d'un feu, et, à peine, sa tête avait reposé sur le sol, qu'il s'était endormi, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours. Dario le réveilla pour lui faire avaler quelques bouts de viandes rôtis au feu, provenant de deux lièvres qu'il avait réussi à attraper. Le garçon se jeta dessus, et faillit même avaler les os. Ses grands yeux bruns se posèrent sur moi quand je lui montrais comment les laisser de côté. Il ne comprenait pas bien. Je lui demandai donc d'ouvrir la bouche, et je dus aller récupérer les os à moitié broyés sur sa langue. Il se montra docile. Son regard ne me quitta pas une seule fois. Puis je finis par lui retirer la carcasse des doigts, par lui dire "ça ne se mange pas, ok?"

Il acquiesça, toujours avec ses pupilles braquées sur moi, comme s'il apprenait quelque chose de quelqu'un de très important. Je me sentais puissant. Presque aussi puissant que mon père. J'en souriais encore en le veillant pendant qu'il se rallongea et se referma les paupières.

J'avais beau monter la garde à quelques mètres du foyer principal et des adultes, mes oreilles trainaient. Les grands parlaient à voix basse. ça ne m'empêchait pas de capter. Ma curiosité m'avait donné quelques dons.

— Ce qui est étrange, expliqua Dario, c'est qu'aucune partie de leur corps ne manquait.

— Tu ne crois pas à une attaque d'affamés ?

— Les affamés portent bien leur nom... pourquoi tuer si ce n'est pas pour se nourrir ?

— Ils ont peut-être emporté une ou deux personnes et tué le reste.

— Pourquoi auraient-ils fait ça ? renchérit mon père. Ils ne fonctionnent pas de cette façon.

— Trop encombrés ? Ils avaient peut-être déjà attaqué un groupe dans la journée, ou l'un d'eux était blessé... il y a des dizaines de possibilités.

— Non, ça ne colle pas, réfuta le chef de notre clan. Quand tu as faim, tu ne te prives pas de nourriture à disposition. Surtout des enfants... on sait qu'ils en raffolent. Je ne pense pas qu'ils aient le recul nécessaire pour réfléchir, ce sont des êtres primitifs.

Le regard de mon père me percuta et je compris que je ne devais pas me trouver là, assis sur mon sac de couchage, à écouter, plutôt qu'à l'intérieur, endormi. J'ouvris donc la couverture et me glissai dedans, en face de moi, le petit garçon tremblait. Ses yeux s'étaient ouverts, revenus droit sur mon visage, je sus que lui aussi avait entendu. Que lui aussi avait peur.

— Ça va aller maintenant, t'en fais pas... lui chuchotai-je en me penchant vers lui.

Je voulais le rassurer. Je me posai donc ma tête à quelques centimètres de la sienne, de sorte à pouvoir veiller son sommeil. Il ferma les yeux, s'allongea sur le dos. Sa respiration s'apaisa au bout de deux minutes. Il marmonna encore un truc que je ne compris pas. Ça me rassurait d'un côté, parce qu'il pouvait donc parler et en même temps, ça m'embêtait de ne pas connaître son nom, qu'il ne veuille pas me le dire... Je lui avais reposé la question mais il avait préféré me fixer plutôt que d'ouvrir la bouche. Il devait être vraiment traumatisé. Nous étions arrivés trop tard...

Absolu [sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant