Chapitre 3

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Kay


On lui avait donné des vêtements. Des montagnes de vêtements qui avaient débordé de ses petits bras quand il les avait tendus vers ma mère, Armélie. En tant que chef, elle lui avait expliqué que c'était son rôle d'accueillir les nouveaux arrivants et de leur fournir ce dont ils avaient besoin. Lui avait besoin de se réchauffer, et de prendre du poids. Au lendemain de notre première nuit, Mellée était repassée l'examiner et son verdict était tombé : Nino tomberait malade s'il ne mangeait pas correctement très vite. Réunir de quoi l'habiller avait été facile. Maman avait simplement rendu visite à chaque famille, et avait récupéré ce dont elles ne se servaient plus. Elle avait ensuite rassemblé le tout dans ma chambre. Au pieds de mon lit, il y avait eu alors des pulls épais, des écharpes en laine, des pantalons et des chaussettes sans trous ainsi que de nouvelles chaussures. La plupart des vêtements provenaient d'un héritage de nos ancêtres. Le reste, nous l'avions récupéré soit dans des fouilles de cités oubliées, soit au cours de troc auprès d'une tribu très à l'est, en avance sur nous qui fabriquait ses propres vêtements. Je ne savais pas comment ces gens réussissaient un tel exploit, mais régulièrement Papa menait une expédition pour récupérer de nouveaux habits. Aujourd'hui, ces derniers servaient à Nino et j'étais heureux qu'il n'ait bientôt plus froid. Du moins, la journée. Le soir, je l'entendais trembler dans son lit. Dans l'attente de savoir ce qu'il adviendrait de lui, chez qui il habiterait, Nino avait gardé la paillasse. J'avais rajouté des couches sous lui et des couvertures, mais ses dents claquaient. Un peu comme s'il était coincé dans un glaçon géant et que son corps malgré les couches ne parvenait pas à se réchauffer. J'avais collé sa paillasse au plus près du tube de la cheminée. Je lui avais laissé mon écharpe qu'il plaquait constamment contre sa bouche et son nez, et qu'il ne quittait jamais depuis le premier jour. D'après Mellée, il n'aurait plus froid le jour où il atteindrait un poids moins critique, et encore d'après elle, il faudrait attendre quelques semaines. J'avais hâte. Nino n'était arrivé au village que depuis quelques jours. Il faudrait être patient.

Patient. J'entendais ce mot tous les soirs lorsque maman et papa se mettaient à discuter quand ils croyaient que je n'entendais pas. Plus les jours passaient, plus papa se demandait : qu'est-ce qui s'était passé dans cette forêt ? Il avait posé la question à Nino, il m'avait même utilisé comme intermédiaire, vu que j'étais le seul à qui Nino parlait, pour lui soutirer des brides d'informations, mais, mon nouvel ami ne se rappelait pas.

Je lui avais posé des questions un soir. Je lui avais demandé de s'asseoir sur mon lit, il m'avait regardé avec de grands yeux comme à son habitude. Je lui avais demandé s'il se souvenait de son camp, des gens qui habitaient avec lui, de comment ils survivaient, mais son visage était resté de marbre. Mon père avait beau répéter les mêmes questions tous les soirs, en lui expliquant que c'était important qu'on puisse le protéger, et important de protéger notre village, Nino n'ouvrait pas la bouche. Je crois qu'il ne comprenait pas bien tous les mots. Je m'étais donc mis en tête de lui en apprendre certains, un peu tous les jours.

Tout le monde se montrait patient, oui.

Mellée lui expliquait beaucoup de choses, elle aussi ; que c'était normal que son cerveau ne se souvienne pas, que c'était à cause du traumatisme qu'il avait subi. Elle lui disait que les souvenirs pourraient ne jamais revenir, ou alors qu'un jour, quelque chose lui rappellerait l'attaque et qu'ils pourraient ressurgir en pire. Nino avait eu peur quand elle lui avait dit ça. Il s'était caché dans mon dos et m'avait agrippé le bras.

— Fais attention à lui, m'avait alors gentiment conseillé la doctoresse. Je crois que tu es la seule personne qui le rassure vraiment : il s'accroche à toi depuis le premier jour.

J'aimais bien qu'il s'accroche à moi. J'aimais bien me dire que je devais, et pouvais, protéger une autre personne, comme papa le faisait avec le village.

Absolu [sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant