Chapitre 2

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    Le lendemain au soir, après une journée passée à dormir dans une boîte en pin vernis en guise de lit douillet, inclinée comme s'il s'agissait de favoriser la circulation de ce sang écarlate et froid qui coulait dans ses veines, Neil se réveilla en sursaut. L'obscurité qui filtrait à travers les persiennes de sa chambre indiquait que le soleil était de l'autre côté de la Terre, et la Lune avec.

    Ilse réveilla en sursaut et passa en revue les bribes de songes que son esprit avait su capturer et qui formaient une marmelade des plus confuses : on l'avait débusqué comme un criminel pour l'amener paître dans une usine alimentaire où abats, peaux et os, hachés, broyés, bouillis, javellisés puis aromatisés servaient à préparer les sacro-saintes PST, les Protéines de Soja Texturées ; dans un autre, il était avec les siens – c'était lors du Concile qui, tous les ans les rassemblait au Château – quand la Grand-Messe tourna au traquenard, ses congénères dégainant de leurs capes et toges noires autant de poignards d'airain avec lesquels ils le trucidaient gaîment avant que de donner ses restes à manger aux cochons des bohémiens du Comte, seuls êtres en ce monde qui ne tournaient pas la tête en signe de répulsion quand à cet aliment infâme, andouillette à la puanteur de cadavre, rognons aux effluves fatales d'égouts stagnants.

    « Vivement la prochaine séance », pensa-t-il alors qu'il notait ces souvenirs dans un carnet fleuri qui quotidiennement attendait sur une table de chevet aux couleurs flashy – rose fuchsia, vert radioactif et jaune citron – qu'il y annota ses rêves. Son analyste, un jungien, était parvenu à instituer ce rituel il y a quelques années déjà, et c'était en partie cela qui l'avait amené à prendre conscience du caractère éminemment tragique de sa condition, lequel lui avait fait renoncer au goût du sang. Ça n'avait pas été facile. Les siens, immédiatement, lui avaient tourné le dos, en faisant un parjure, l'opprobre faite immortel. Tous lui avaient tourné le dos, à l'exception du Comte, leur grand aïeul à tous qui avait vu en cette curiosité une chance de lever la malédiction qui leur avait été infligée suite à la révolte, prométhéenne, qui l'avait amené à renier un Dieu tout puissant dont on ne savait plus avec certitude le nom depuis des siècles.

    Depuis le sang avait coulé sous les crocs et ils avaient fini par l'accepter tel qu'il était. Après tout, chacun d'eux n'était-il pas affublé d'une curieuse bizarrerie. Clarimonde affichait une bipolarité des plus sévères, mais c'était certainement grâce à cela qu'elle triomphait depuis plus de cent ans sur les planches des cafés-théâtres parisiens où, à ce jour, elle apparaissait comme une icône internationalement reconnue de l'effeuillage burlesque. Orlok avait développé une passion des plus impérieuses, devenant le plus grand collectionneur de pierres polies de la planète, lesquelles étaient exposées dans une galerie du vieux Prague où se succédaient spécialistes et particuliers, passion si dévorante qu'elle le conduisait chaque jour à se raser le crâne pour faire resplendir son orbe polie. Tous témoignaient d'une ou plusieurs singularités constitutives de leur personnalité, de leur caractère.

     L'horloge martela neuf coups de lugubre cymbale. Il fallait qu'il parte sans plus tarder. De Munich à Bran, une longue route l'attendait. Le Comte n'admettait pas les retardataires et Neil Wagner avait une mission à accomplir.

Double VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant