Chapitre 7

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Un éclair blanc qui laissait comme une teinte rougeâtre sur la rétine de ceux qui avaient osé le défier du regard, déchira soudain le ciel en deux, faisant résonner à des milles à la ronde son fracas d'artillerie lourde qui se répandit tel une onde de choc atomique, délogeant de leurs rêves douillets hommes, femmes et enfants endormis qui s'éveillaient dans une terreur brutale qu'ils ne parvenaient ni à expliquer, ni à raisonner, atavique sensation semblable à cette inquiétude tenace et diffuse qui tenaille l'antilope jusqu'au plus profond de sa chair quand les lions sont en route. L'éclair avait frappé la pyramide de bois en son sommet et amené le feu à germer depuis la racine des cercueils démantibulés ; le Comte était instantanément apparu dressé sur son trône, majestueux sous sa cape d'un blanc neigeux démoniaque à la doublure lançant des lueurs de carnage. Il leva la main au ciel, et le feu stoppa aussitôt sa croissance, comme un dogue parfaitement dressé à la fidélité et à la mort.

« Mes chers enfants, mon engeance, ma fierté, mon sang – la voix à la fois brute et suave du Comte, d'une manière tout à fait inexplicable, notamment pour les derniers bohémiens encore en train de hâter le pas pour s'éloigner de cette lugubre messe de sabbat qui serait leur première et dernière, semblait jaillie de l'intérieur du crâne de chacun, telle une seconde voix intérieure, impérieuse, autoritaire et délétère, irrésistible démon, séduisant et terrible.

« Quel est donc le sens, la direction, la trajectoire de notre famille, de notre race ? – Il s'exprimait lentement, laissant chaque mot infuser dans l'esprit de son auditoire comme un coup de burin.

« Quel était le dessein réel de celui qui, par le châtiment d'immortalité, a voulu imprimer une vie de mort éternelle à la lignée renégate ayant défié son auréole sacrée ? – Chacune de ses questions laissait planer un silence de vol de charognard.

« Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Sommes-nous des anges de lumière condamnés à la nuit pour un pêché originel, déchus et jetés à bas pour ramper, misérables sur cette terre, en quête de rachat et de salut ? Regardons-nous un instant. Combien sommes-nous ce soir ? Combien serons-nous demain ?

« Issus du plus terrible châtiment qui ait été infligé depuis les grands criminels du Tartare latin, nous sommes le sang du pouvoir, le sang de la conquête, de la domination, de la soumission. – Le ton du Comte s'enflammait à mesure qu'il dévalait les pentes volcaniques de son discours. « Chaque jour, notre empire s'étend sur de nouveaux territoires, assujettit davantage d'âmes et s'incarne dans autant de corps nouveaux. Chaque jour les serviteurs de notre plus redoutable ennemi, notre bourreau originel, se réduisent comme peau de chagrin. Leurs temples, églises et basiliques se vident comme frappés d'un coup de cimeterre mortel d'où s'écoulerait leur sang, inexorablement, lentement. Quel est donc le sens de ce mystère ? Comment le soi-disant supplicié, attaché à la roue, ligoté, lynché, conspué, fustigé, a-t-il pu prendre le pas sur ses tortionnaires bénis ? Comment nous, vampires, stryges, démons, peu importe le nom par lequel on nous affuble, nés de la plus cruelle des punitions à laquelle n'ait jamais songé l'Éternel, avons-nous pu acquérir un tel pouvoir ? Les armées de Dieu, ses fidèles, s'inclinent chaque jour davantage. Les hommes eux-mêmes se sont dotés des mœurs qu'ils nous prêtent, taraudés sans cesse par une toujours croissante insatiable soif de dévoration qui les frappe toujours plus jeunes et bien souvent à jamais. Une soif qui les consume, qui les condamne, mais demeure inaltérable, possédés qu'ils sont par cet aveuglant mal matricide. Et nous, de notre côté, nous prospérons. Quel est donc ce mystère ? La rancœur divine a-t-elle tourné comme un vent mauvais ? Où cela nous mènera-t-il ? Qui verra vivra. En somme, nous ne pouvons rester dupes plus longtemps quant à notre condition.

« J'ai bien entendu tranché la question. Le prochain Concile, s'il en est, me donnera tort ou raison. Je reviendrai vers vous suffisamment tôt pour vous en informer. Sur ce, place aux réjouissances, que la fête commence ! Bonne chair à vous mes enfants, mon engeance, ma fierté, mon sang ! »

Les hères rassemblés, ébranlés par cet étrange et inattendu discours, après quelques secondes d'hésitation, saluèrent de l'inclinaison traditionnelle du chef et applaudirent le discours de l'entrechoc de leurs coudes et avant-bras, mouvement semblable à celui des roussettes quand elles s'éveillent avant de s'élancer dans la nuit déferlant sur le monde pour chasser des fruits sucrés. Toutes sortes de prodiges pyrotechniques coururent alors dans le ciel noir, sur les troncs, les tables et le sol alors que d'un claquement de doigt, le Comte avait permis au feu de la pyramide de bois de poursuivre son œuvre de transmutation.

Neil Wagner, une ride dubitative sur le front, croisa le regard de Von Krolock, également sceptique quant à ce qu'il avait entendu. Neil balaya du regard l'assemblée réjouie par l'orgie qui s'annonçait et fut surpris de constater que Nos, vampire de ténèbres par excellence, le dévisageait férocement. Nos soutint quelques instants son regard, plongea ses yeux de fer tranchant sur Von Krolock puis s'enroula et disparut dans sa cape de nuit.

Nos était chargé de la troisième voie, celle que le Comte n'avait pas voulu révéler, Von Krolock et Neil l'avaient bien compris.

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