Chapitre 2 (Raphaël)

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Quand je le vois sur le point de partir, mon corps réagit plus vite que mon cerveau. Nous sommes au beau milieu d'une conversation, il ne peut pas me quitter comme ça, sans même m'avoir donné son prénom ! Sa paume est chaude contre la mienne, légèrement rêche, mais agréable. Son regard, en revanche, est assassin. J'ai envie de lui demander pourquoi il se comporte aussi sauvagement avec moi. Est-ce que c'est à cause de mon fric ? Parce qu'étant donné la voiture qu'il conduit, il doit être logé à la même enseigne, alors il ne peut pas me juger là-dessus. Je n'ai pas le temps de lui poser la question. Il retire sèchement ses doigts des miens et m'envoie des éclairs par la pensée.

— Ne t'avise plus de me toucher, si tu ne souhaites pas finir au tapis une deuxième fois.

Ce n'est pas difficile de le prendre au sérieux avec le ton qu'il emploie. Il y a quelque chose de perturbant chez lui... Je ressens sa détresse comme si ses iris hurlaient à la place de ses lèvres. Derrière ses yeux d'acier se cache l'âme d'un enfant torturé. Il doit avoir une bonne raison de répugner les contacts... À moins que ce ne soit juste les miens ? Il n'a pas réagi aussi vivement, quand Anita l'a saisi par la main, et s'il a une copine c'est que ce blocage ne fonctionne pas non plus avec elle. Peut-être est-ce seulement avec les hommes ? Je vais finir par me donner mal au crâne à force de cogiter à son sujet.

— Désolé... dis-je avec sincérité.

Mon ton calme et convivial semble l'apaiser. Les traits de son visage se détendent et je le trouve beaucoup plus beau ainsi. Il ne manque plus qu'un joli sourire pour parfaire son portrait ! Bien sûr, il ne faut pas rêver.

— D'où est-ce que tu viens ?

— J'ai cours, lâche-t-il froidement avant de se détourner à nouveau.

Au moins, je sais où il va. Son comportement est frustrant, j'ai du mal à saisir pourquoi il se braque autant. Ce ne doit pas être évident d'arriver en cours d'années alors que tout le monde se connaît déjà, mais s'il ne fait d'efforts de son côté... Cette fois, je ne cherche pas à le retenir et me contente de jeter un œil à mon emploi du temps. La journée débute par les sciences humaines, super ! Sur le trajet jusqu'à la salle 109, j'en profite pour lire les messages envoyés par l'équipe de basket sur la conversation commune. Les gars sont très remontés contre le nouveau venu, surtout Wesley qui n'a pas apprécié de se faire défigurer. Même en tant que capitaine, ça va être difficile de les raisonner... Je ne m'attarde pas dessus pour l'instant et rejoins mon cours de justesse. J'étais à quelques secondes près de voir la porte me claquer sous le nez. Je repère immédiatement le nouveau, installé dans le fond de la salle à côté d'Anita. Étant donné sa mine dépitée, j'imagine que c'est elle qui a dû imposer sa présence.

J'esquisse un sourire à l'idée qu'il ne m'ait pas échappé longtemps et quand il le constate, celui-ci m'assène l'un de ses fameux regards noirs. Il me déteste vraiment et j'ai décidé de m'en amuser ! Je m'installe au dernier rang, juste derrière lui, ce qui doit l'agacer étant donné la façon dont il se met à gigoter la jambe sous la table. Il ne peut pas me voir, mais moi oui et je ne le lâche pas d'une semelle, même s'il n'y a pas grand-chose en dehors de son dos que je puisse admirer. Ne peut-il pas enlever cette fichue veste ? Le bruit de la porte qui claque m'arrache à ma contemplation. Monsieur Andrews analyse la salle et souhaite un bon retour aux élèves avant de poser son regard sur le nouveau.

— Monsieur Atkins, bienvenue parmi nous. Dans mon cours, les présentations sont importantes pour se donner une idée de la personne que l'on en face. Merci de bien vouloir vous lever et nous parler un peu de votre parcours.

Un silence suit sa demande et j'esquisse le sourire de la victoire. Je vais enfin en savoir plus à son sujet ! En l'espace de quelques secondes, Monsieur Andrews vient de devenir mon professeur favori. Tous les regards se braquent sur Atkins qui ne bronche pas. Muet et immobile, il ne donne pas l'impression de vouloir jouer le jeu. C'est sans compter sur l'entêtement de ce bon vieux professeur qui s'installe tranquillement derrière son bureau, sirotant son thé l'air de dire que rien ne presse. Il n'a pas l'intention de commencer son cours avant d'en savoir plus à son sujet. J'entends un grognement de mécontentement s'échapper des lèvres d'Atkins qui se relève en laissant soigneusement grincer sa chaise dans son mouvement.

— Gabriel Atkins, 20 ans, j'aime la caféine, déteste les basketteurs et j'enverrai à l'hosto tous ceux qui s'approcheront de Sarah. Vous êtes prévenu.

Après une présentation plus que concise, il se rassoit, les bras croisés sur son torse. Je réalise que je connais enfin son prénom, mais surtout, j'ai confirmation que la fille qu'il est venu chercher à la soirée compte énormément pour lui. Sans pouvoir expliquer pourquoi, j'en ressens un pincement au cœur.

— Voilà un comportement que je qualifierais pour le moins de primitif.

Le terme employé par monsieur Andrews colle bien à l'image de Gabriel qui agit comme un loup au milieu d'un terrain hostile. Toujours sur ses gardes et prêt à user de la force pour prouver qu'il est l'alpha.

— Un primitif suffisamment renseigné sur le corps humain pour savoir où viser pour faire mal.

Gabriel n'aurait jamais dû entrer sur ce terrain-là...

— Ah ! Voilà un sujet qui m'intéresse ! Dites-moi, monsieur Atkins, quelles sont les zones sensibles de notre organisme ?

— Au niveau de la tête, il y a les yeux, les tempes, le nez et le menton. Sur le tronc, il y a entre autres le plexus, la clavicule, les reins et le foie. Puis il reste les membres inférieurs comme les parties génitales ou les genoux.

Gabriel a répondu du tac au tac, sans une once d'hésitation. Tous les élèves écoutent cet échange avec attention et basculent leur regard de l'un à l'autre, désireux de savoir qui obtiendra le fin mot de cette conversation.

— Et si vous aviez le choix, que viseriez-vous en premier lors d'une agression ?

— Une zone du visage.

— Pourquoi ?

— Parce qu'avec les yeux on peut atteindre les cervicales, les tempes déclenchent un déséquilibre des sens, le nez est facile à casser et le menton est un emplacement stratégique pour mettre une personne k.o en un seul coup.

Bon sang, c'est qu'il s'y connaît vraiment bien en plus ! Finalement, c'est plutôt pour Wesley que je devrais me méfier, ce type est un véritable ninja. J'aurais dû le deviner rien qu'à sa prise lors de notre rencontre. Comme tous les élèves, mon regard se tourne vers notre enseignant qui esquisse un sourire amusé.

— Ce sont de bonnes réponses, même si personnellement, j'opterai pour le plexus.

Monsieur Andrews attend que Gabriel fasse preuve de la même curiosité en lui demandant pourquoi, mais ce dernier n'ouvre pas la bouche, désireux que cet échange se termine. Cela n'empêche pas le professeur de reprendre.

— Un choc suffisamment puissant bloque la respiration et l'humain panique quand il n'est plus approvisionné en O2, il ne pense donc plus à contre-attaquer. Ces quelques secondes peuvent complètement changer la donne dans un combat.

Un autre silence accueille sa conclusion, mais celui-ci ne s'éternise pas.

— Dans ce cas, un coup de genou dans les couilles serait tout aussi efficace, si ce n'est plus.

Quelques élèves pouffent de rire et le sourire de l'enseignant s'élargit. Monsieur Andrews semble ravi de l'arrivée de ce nouveau venu capable de débattre avec lui et de parvenir à obtenir le dernier mot. Les autres ne font pas preuve d'autant d'impertinence, mais c'est parce qu'ils se retrouvent vite à court d'arguments. Pour le coup, Gabriel connaît bien le sujet sur lequel il est interrogé.

— Vous avez tout à fait raison, monsieur Atkins, je vous laisse remporter cette manche. Passons maintenant au cours et ouvrez vos livres à la page 205, nous allons aujourd'hui étudier les...

Il continue de parler sans que je ne l'écoute davantage, mon regard rivé sur la nuque de Gabriel. Bien trop de choses se dégagent de sa personne : du mystère, de la sauvagerie, des zones d'ombre, mais aussi une part de sensibilité enfouie, j'en suis persuadé. J'ai envie d'en savoir plus à son sujet et je compte bien y parvenir.

Primitif [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant