— Ce n'est pas de ma faute si tu aimes te faire dominer.
Bordel, j'ai vraiment prononcé ces mots ? Je n'ose plus me tourner vers lui de peur d'affronter son regard. Pourquoi ne dit-il plus rien ? De nous deux, c'est moi le muet habituellement. Je pense cela comme si je le côtoyais depuis des mois alors que ce type est un pur étranger. Honnêtement, je me demande encore ce qui m'a pris de venir. Si Sarah n'avait pas insisté, j'aurais passé une soirée tranquille dans ma chambre, à regarder un film ou écrire en écoutant de la musique. Je ne serais pas couvert de sable en train d'expliquer à un presque inconnu qu'il apprécie se faire dominer. Il y a vraiment un truc qui cloche dans mon cerveau.
— Je pourrais te prouver à quel point tu fais fausse route, mais je ne suis pas sûr que tu assumes.
Cette promesse me transcende. Un frisson glacial me parcourt l'échine et me remet les idées en place. Est-il sérieux ou moqueur ? Une part de moi a envie de pousser la provocation à son paroxysme pour en avoir le cœur net, mais mon corps a réagi plus vite que mes pensées, suivant de vieux réflexes. Sans chercher à connaître la vérité, je bondis sur mes pieds et prends la fuite. Ouais, comme ça ! Je cavale à grandes enjambées, malgré les appels de Raphaël. Est-ce qu'il me poursuit ? Je ne tiens pas à le découvrir. Je continue ma progression sans jeter de regard en arrière. J'ignore où je vais, pas encore habitué à cette nouvelle ville. Il ne doit même plus y avoir de bus à cette heure tardive. Sarah va me tuer.
Depuis combien de temps suis-je lancé dans cette course folle ? Je m'arrête uniquement lorsque mes jambes deviennent douloureuses et trouve refuge sous un vieil abri en piteux état. Tu ne vas pas te plaindre de ça, t'as connu pire Gab. Je m'installe à même le sol, remontant les genoux contre mon corps. Je n'avais pas froid quand il était là, maintenant oui. Les mains tremblantes, je sors mon paquet de clopes, espérant que ma dépendance puisse servir à me réchauffer un peu.
D'affreuses images prennent place dans mon esprit. Des relans me submergent au souvenir de ces muscles qui me maintiennent contre ma volonté. Plusieurs rires moqueurs transforment cet événement horrifique en une simple plaisanterie. Une mauvaise blague qui a laissé de lourdes séquelles. J'essaie tant bien que mal de remplacer ces souvenirs par de meilleurs, mais rien n'y fait.
— Barrez-vous ! crié-je à moi-même, comme un aliéné parlerait à sa seconde personnalité.
Qu'est-ce qu'il m'arrive putain ?! Des hurlements résonnent à mes oreilles comme s'ils étaient poussés à proximité. Les miens. Ceux de Sarah... La cigarette est tout juste allumée qu'elle me glisse des doigts. Sans chercher à la récupérer, je me recroqueville sur moi-même, plaquant mes mains contre mes tempes et basculant mon corps d'avant en arrière. Pitoyable tableau que renvoie Gabriel Atkins lors d'une de ses crises, car c'est ce dont il s'agit. Je n'en avais pas eu depuis des mois et j'aimerais juste que les plaintes cessent, que les souvenirs s'effacent et que tout s'arrête.
Parfois, l'envie de replonger dans les méandres de la drogue s'insinue jusque dans mes veines -sans mauvais jeu de mots-. Seule Sarah m'aide à tenir le cap. Où est-elle ce soir ? J'ai besoin de sa présence, mais elle n'est pas là. Pire, c'est elle qui m'a poussé à quitter le foyer, soi-disant pour en profiter un peu avec le capitaine de l'équipe. Tu parles ! La solitude me frappe de plein fouet et me rappelle cette triste vérité : dans la vie, on ne peut compter que sur soi-même.
Les rayons du soleil qui caressent mon visage me forcent à émerger. J'ai fini par m'endormir là... Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est ni de combien de temps il me faudra pour retourner à l'appartement. Par-dessus le marché, je n'ai plus de voiture pour rentrer et accompagner Sarah à l'université. Merde, Sarah ! Ce coup-ci je vais probablement avoir le droit à une crise tellement énorme, qu'elle risque de me forcer à acheter un téléphone juste pour la rassurer. Fait chier. J'enfonce les mains dans mes poches et marche le long du bord de route, espérant trouver un foutu arrêt de bus quelque part.
J'ai les jambes en compote quand j'arrive enfin en bas de l'immeuble. Deux heures ont dû s'écouler avant que je me résolve à faire de l'auto-stop. J'ai eu de la chance de tomber sur une chic demoiselle qui a eu pitié de moi, surtout que je ne dois pas inspirer confiance avec une dégaine pareille. Un soupir m'échappe lorsque je pousse la porte et prie pour que Sarah se trouve en cours. Manque de bol, elle se tient debout dans le salon, bras croisés sous la poitrine et le regard assassin. Une autre surprise m'attend : Raphaël est là.
— Dix heures... dit-elle en me collant l'horloge de son téléphone sous le nez, au moins ça me permet d'avoir une idée du temps que j'ai passé dehors. Tu nous as laissé tout ce temps sans nouvelle ! Je me suis fait un sang d'encre !
— Depuis quand est-ce qu'il y a un nous ?
J'ignore pourquoi je crache ces mots, insistant bien sur le dernier. En réalité, je n'approuve pas l'intrusion de Raphaël dans mon antre. S'est-il rendu dans ma piaule ? J'ose espérer que Sarah l'ait cantonné au salon qui est extrêmement simple dans sa décoration. En dehors des meubles, il n'y a pas grand-chose capable de nous définir, même les couleurs des murs sont neutres. Seules nos chambres respectives donnent des indications sur nos goûts, nos passions, sur ce que nous sommes et ce qui nous anime. Une certaine rancœur se fait ressentir dans les prunelles de Raphaël tandis que de la colère émane de tous les pores de Sarah.
— Tu te fous de moi ?!
Je balaie son interrogation d'un mouvement de main et me détourne d'eux.
— J'ai besoin d'une douche et vous êtes en retard en cours, vous feriez mieux m'y d'aller.
J'entends ma sœur m'insulter, à l'inverse de Raphaël qui s'enfonce dans un mutisme. Mes pas me mènent dans ma chambre que je ferme à clef. À aucun moment je ne cherche à savoir s'ils restent ou décident de partir. Je ne compte pas me rendre à la fac aujourd'hui, eux peuvent bien faire ce qu'ils veulent.
L'eau brûlante qui coule le long de mes omoplates m'apaise. Les yeux clos, je plaque mon front contre le carrelage humide et laisse tous mes ressentiments s'évacuer à travers un long soupir. J'avais bon espoir de passer une agréable soirée, je me trompais. Cette nuit a été exécrable et les cauchemars qui m'ont poursuivi m'ont vidé de toute énergie. J'ai besoin de me changer les idées, mais je n'ai rien sous la main pour m'aider à y parvenir. Rien ni personne...
J'ai beau essayer de me concentrer sur autre chose, je ne cesse de repenser aux paroles de Raphaël. Est-ce qu'il me proposait sérieusement un plan cul ? Est-ce que j'aurais apprécié la chaleur de son corps ? Bordel, non ! Je n'arrive déjà pas à accepter ses contacts, alors si sa superbe initiative est de me prouver qu'il est capable de me dominer, la soirée se serait terminée avec mon poing dans son visage en sang. Peu glorieux comme tableau.
Je coupe les robinets et enroule une serviette autour de ma taille, sans prendre la peine de m'essuyer. Aucun bruit ne ressort de la pièce voisine, j'en déduis qu'ils ont déserté les lieux pour ne pas manquer plus de cours qu'il n'en faut. Louper le deuxième jour ne ferait pas bon genre. Moi ? Je m'en fous royalement, je n'ai jamais été doué pour écouter des inconnus me faire la leçon. Je déverrouille la porte de ma chambre et m'aventure vers la cuisine, parcourant les placards à la recherche d'une bouteille d'alcool capable de calmer mon esprit torturé. Sarah doit forcément en cacher une quelque part...
— Bordel !
Je grogne après l'ouverture du cinquième tiroir qui ne m'apporte rien. Même de la vodka me conviendrait ! Je sais, il est trop tôt pour songer à picoler, mais quand on a passé une nuit aussi pathétique que la mienne, le fuseau horaire importe peu.
— Tu cherches quelque chose ?
Tous mes membres se braquent à l'entente de cette voix grave. Merde... Qu'est-ce qu'il fout encore chez moi ?! Sarah n'aurait quand même pas osé partir en lui demandant de me baby-sitter... Quelle chieuse ! Je suis sur le point de me tourner pour lui dire qu'il s'est trompé de baraque, quand je me souviens de l'unique tissu que je porte sur le dos. Double merde.
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Primitif [Terminée]
Fiksi RemajaTourmenté par son passé, parviendra-t-il à baisser les armes devant lui ? Gabriel devait repartir à zéro, loin du tumulte de son ancienne vie. Il a fait la promesse de se tenir à carreau à Springfield et d'enterrer ses plus sombres souvenirs. Mais l...