Dès l'Aube, Elle était réveillée. C'était comme ça tout les matins. Ça ne servait à rien, vu que les trois boules de poils qui constituaient sa vie entière dormaient encore, blottis les uns contre les autres. Sûrement une habitude qui lui était restée de son apprentissage. Une mauvaise habitude, donc.
Ces trois chatons, c'était toute sa vie concentrée en ce trio de petits êtres respirant doucement. Tout, absolument tout. Elle n'avait plus de famille, plus d'amis, plus de compagnon. Elle n'en n'avait jamais eu, en fait. Elle n'avait pas de souvenir de son enfance. Ses premiers souvenirs remontaient à ses quatre lune, quand elle était avec sa mère adoptive, une pauvre reine ayant perdu ses chatons de maladie.
Avant, il n'y avait rien. Ce qu'on lui avait raconté, c'était que un jour glacial, on l'avait trouvée dans la neige, elle, cette minuscule chatonne de jais, à moitié morte. Un chaton abandonné par les bipèdes, avait assuré certains.
Mais elle, elle n'y croyait pas. Elle ne venait pas des bipèdes. Il y avait d'autres souvenirs. Mais elle n'y avait pas accès.
La féline noire jeta un regard aux trois chatons qui roupillaient encore. Leur père, elle ne voulait pas y penser, mais l'envie la submergea. L'envie de repenser à leurs discussions, leurs caresses, leurs regards.
Avant lui, il n'y avait eu personne. Et après lui, il n'y aurait personne non plus.
Un matou roux et blanc était venu s'asseoir à coté d'elle. Depuis son arrivée dans le clan du ciel, elle était très solitaire, et depuis que sa mère adoptive était morte, elle l'était encore plus. Et puis lui, avec ses beaux yeux verts, il était venu.
Et après, tout s'était enchaîné avec fluidité. D'abord une étroite camaraderie, puis une solide amitié. Ensuite, vint le temps des queues serrées ensemble et les frôlements de museau. Et puis un jour, sans prévenir, c'était la passion langoureuse qui avait pris le dessus. Elle sentait encore la chaleur de sa fourrure rousse contre elle, sa respiration endormie dans sa nuque, et leurs pattes doucement entremêlées.
Ce jour là, il faisait froid. Ou alors, elle avait froid parce qu'elle avait trop ressassés ses souvenirs et que la non présence de son compagnon lui donnait froid.
Ces trois boules de poils, elle espérait qu'ils aient une vie heureuse et longue. Qu'ils seraient trois frères inséparables. Bien sûr, pour elle les relations de fratrie étaient toujours fusionnelles. Elle qui n'avait jamais eu de frères ou de sœurs, elle ne savait rien du genre de relations que pourraient entretenir ses chatons une fois adultes.
- Maman, j'ai faim...
C'était l'un des chatons, qui au contraire de sa fratrie, était debout. C'était comme ça tout les matins.
- Plus tard, Petit Coquelicot. Quand tes frères seront réveillés.
Le chaton roux et blanc s'approcha de sa mère en s'étirant. Il se pressa contre sa cuisse noire en baillant. En fait, il n'avait pas faim.
- Maman, apprend moi quelque chose !
Elle sourit en enroulant sa queue autour de son petit corps de chaton.
- Mais, je ne sais pas quoi t'apprendre.
Elle sourit, attendrie et un peu désolée.
- Mais si ! Tu sais pleins de choses !
Mais oui, les mamans savent toujours pleins de choses. Alors elle fouilla dans ses connaissances, et tomba sur quelque chose chose qu'elle pensait avoir oublié. En fait, elle ne l'avait jamais vraiment oublié, c'était ancrée en elle et c'était comme un mécanisme.
- Je peux t'apprendre à t'orienter.
- Quoi ? C'est quoi ce mot bizarre ! Je veux savoir m'orienter ! Oui ! Oui !
Elle rit. Son rire était moche, c'était un rire rauque et on aurait dit qu'il était forcé. Mais pour Petit Coquelicot, c'était le rire de sa maman, alors c'était le plus beau rire de l'univers.
- S'orienter, c'est savoir où on est à l'aide de la lune et du soleil. Des étoiles, aussi. Je te montrerais ce soir, quand la nuit sera tombée. Mais on peut le faire avec le soleil pour l'instant.
- Oh oui !
Le petit mâle bicolore ouvrit grand les yeux, intéressée.
- Alors, dans le monde, il y a quatre grandes directions. L'est, l'ouest, le nord et le sud. Le soleil se lève à l'est et va toujours à l'ouest. Tu comprends ?
Le chaton buvait ses paroles. Il écoutait toujours attentivement sa mère. Sa mère, elle était vachement intelligente, alors il l'écoutait pour devenir intelligent lui aussi. S'il l'écoutait, il deviendrait intelligent, non ?
- Oui maman.
Sa maman, elle était belle, avec son long pelage noir et ses yeux bleus. Lui, il avait les mêmes yeux qu'elle. Il aimait bien être blotti contre elle, tout seul. Il avais sa maman pour lui. Ses frères étaient pas là pour la lui piquer.
- Donc, si tu regardes ou va le soleil, il ira toujours à l'ouest. Donc derrière toi, il y aura toujours l'est.
Petit Coquelicot regarda alors instinctivement le soleil, qui se levait à peine. Il regarda la direction ou ses rayons pointaient.
- Donc là bas, c'est l'est ?
Il pointa du bout de la queue l'un des endroits du camp.
- Oui, c'est ça. À droite de l'est, c'est le sud. Et à gauche, c'est le nord.
De ses griffes, elle traça une croix. Chaque bout pointait dans une direction.
- Tu vois ? Comme ça.
La petite boule de poil aux yeux bleus acquiesça silencieusement.
- Et à chaque fois que tu voyages, tu peux tracer cette croix dans le sol, pour savoir d'où tu viens et où tu vas. Avec de l'entraînement, tu aura même plus besoin de la dessiner. La croix se fera toute seule dans ton esprit.
- C'est génial !
Il sourit à sa maman, sa tendre et jolie maman. La féline au pelage sombre releva la tête à l'entente de son nom, quelque part dans le camp. Elle se sépara de son fil, et lui lécha le front.
- Ce soir, je t'apprendrais à le faire avec la lune. Mais là, je dois partir. Sois sage, mon Petit Coquelicot d'amour !
- À tout à l'heure, maman !
Dans un ronron, il la regarda s'éloigner. Il avait déjà hâte qu'elle soit de retour.
- Oh non ! On s'est réveillé trop tard, maman est partie !
C'était l'un de ses frères. Petit Coquelicot lui bondit dessus en rigolant.
- Ouais, moi je l'ai vue et pas toi ! Sale paresseux !
Les deux chatons roulèrent au sol, comme deux chatons normaux en somme.
- Sale lève tôt ! Qu'est ce qu'elle t'as dit, maman ?
- Elle m'a appris à m'orienter grâce au soleil ! Et ce soir, elle m'apprendras à le faire avec la lune ! Et toi, tu sais pas le faire, na !
Ce qu'il ne savait pas, c'est qu'il n'apprendrait jamais à se repérer grâce à la lune.
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L'Aube [ᶠᵃⁿᶠⁱᶜᵗⁱᵒⁿ ˡᵍᵈᶜ|ᵃᵛᵃⁿᵗ ᵖʳᵉᵐⁱᵉ̀ʳᵉ]
Fanfiction/!\ ne sera pas continué Peu à peu, le soleil se levait sur un monde brisé, fracassé, douloureux. Le fracas avait cessé. Ce qui avait semblé être le déchirement d'un éclair avait disparu, laissant place au silence et au ciel clair. Il n'y avait jam...