Chapitre 1. Rupture d'équilibre

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Thomas.

S'écrouler. Noir. Longtemps.

Se réveiller. Noir. Tout en étant sûr d'avoir les yeux ouverts.

Demander s'il y avait quelqu'un. Entendre des souffles. Des sanglots. Ma mère. Ma sœur.

Puis, comme une déferlante colorée, trop bruyante, les souvenirs affluèrent dans mon esprit. La fête. Les lumières stroboscopiques à l'intérieur de la villa, qui pulsaient avec la musique. Je m'étais demandé ce que je foutais là. Ce que Hope foutait loin de moi.

Pourquoi j'avais accepté de venir à cette soirée organisée par des dernières années de Santa Amalia High School, alors que je n'avais que seize ans et que je ne les côtoyais pas vraiment ? Juste parce que les filles me trouvaient mignon ? Mauvaise raison. J'étais comme un joli bibelot, destiné uniquement à la mise en valeur des photos de la fête.

Je tournais en rond. Je m'emmerdais. Jusqu'à ce que ce mec s'approche et me tende sa paume ouverte, avec un cachet jaune au milieu, et un gobelet rouge de l'autre main.

— Avec ça, tu vas vraiment t'éclater.

Quelques minutes plus tard, les battements de mon cœur s'étaient accélérés. Ma langue était engourdie, et ce que je voyais était déformé, avec des flashs aveuglants. Mes pensées avaient été propulsées les unes contre les autres. Carambolage.

Puis j'avais senti que mes jambes s'engourdissaient à leur tour, et j'avais titubé. Je m'étais avancé vers la piscine qui me paraissait phosphorescente, là où il y avait le plus de monde. Je n'avais pas pu prononcer un mot, la langue et le cerveau paralysés. J'avais tenté de lever un bras pour demander de l'aide, et j'avais chuté dans l'eau bleue si lumineuse. Je n'avais rien ressenti. Tout s'était éteint à cet instant précis.

Et quand mon cerveau se reconnecta à la réalité, je ne voyais que l'obscurité la plus totale. Les médecins me parlèrent de leur perplexité. Aucune partie de mes yeux n'avait été endommagée. Ni le cristallin, ni la rétine, ni le nerf optique. Il y avait eu une déconnexion, quelque part dans ce cerveau que les médecins ne connaissaient toujours pas complètement, à cause de la drogue frelatée que j'avais ingérée, en plus de la boisson contenant du méthanol. Les scanners ne décelèrent rien d'anormal. Il y avait eu un court-circuit et la science cherchait les fusibles de rechange. Physiques ou psychologiques. J'avais eu très peur et la cécité psychologique existait. Personne ne savait rien de plus.

Parce qu'il restait un espoir que je revoie, et que ma vie rentre dans l'ordre, je m'y accrochai et je rejetai le reste en bloc. La rééducation, l'apprentissage de ce qui pourrait simplifier ma vie de non-voyant, comme ils disaient, pour ne pas me choquer avec le mot aveugle.

Mes parents et ma sœur Jane, ma cadette d'un an, n'avaient formulé aucun reproche à propos de la drogue. L'accident les avaient choqués. De plus, ils n'avaient jamais été directement confrontés au handicap d'un membre de leur famille. Ils étaient gênés et ce malaise n'avait jamais quitté leurs voix, leurs intonations. Ils ne savaient pas comment m'aider, à mon avis. Comment me parler. Un comble pour des avocats. Un comble pour Jane, si loquace avec ses amies. Mon ouïe s'étant affinée, je l'entendais parfaitement rire avec ses copines, débiter des anecdotes d'une voix légère qu'elle n'avait jamais quand elle communiquait avec moi.

Mais mon ami d'enfance Hope, celui dont j'étais le plus proche, conserva son attitude et son timbre de voix habituels. Ce fut lui qui insista pour que je remonte sur une planche de surf, ce dingue, et qui me persuada que j'arriverais à prendre de nouveau des vagues, guidé par ses directives. Pour lui, parce que c'était lui, j'acceptai. Mes parents ? Ils me laissèrent décider. Et je retrouvai toutes mes sensations. De quoi tenir, supporter la situation.

L'un est mon double, l'autre mon trouble, roman édité, 5 chapitres disponibles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant