Chapitre 3. Session.

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Thomas.

Comment peut-on être si heureux et si malheureux ?

Si heureux d'être avec lui.

Si malheureux à l'idée de ne (peut-être ?) plus jamais voir son visage.

Si heureux que sa voix soit mes yeux sur les vagues.

Si malheureux de ne plus voir ni l'un ni l'autre.

Sentir, toucher, entendre l'océan et mon ami sont des chances mesurées pleinement.

Avec du sucre et une pointe d'acidité. Comme une tarte au citron meringuée. La douceur sucrée et moelleuse de ce qui fait mes petits bonheurs. L'amertume du citron, sa couleur vive, presque tranchante, dont je me rappelle si bien, puisque j'ai vu jusqu'à l'âge de seize ans.

C'est une chance pour continuer d'avancer dans ce monde, continuer de m'y projeter, et de superposer mes souvenirs et mon imagination à la réalité. Parce que j'y ai des repères que certains n'ont jamais eus, car ils ne savent pas ce que c'est de voir. C'est à la fois ma chance et ma malchance, parce qu'il est probable qu'on souffre plus de ce qui nous a été arraché que de ce qu'on n'a jamais connu.

Je veux explorer ce monde d'une autre façon. Avec Hope.

Pour qui je ressens quelque chose de différent depuis le handisurf, c'est sûr.

Ou peut-être que c'était là avant. Mais le fait qu'il me touche tout en me parlant afin de me guider m'a mis devant la véritable origine de mes troubles. Quand mon cœur accélère, qu'un cercle de feu enlace mon bas-ventre et que mon esprit me crie que je ne veux pas le quitter, même pour une nuit.

Ce serait le comble pour un aveugle de se voiler la face.

Je l'aime.

Je suis amoureux de Hope Leighton.

Hope.

La gifle de Mallory avait agi comme un détonateur pour que je me rende compte que j'aimais Thomas comme on aime un amoureux, et que j'enfouissais ce sentiment pour préserver un équilibre qui pourrait exister sous une autre forme. L'hésitation de Mallory, après cette première claque qui s'avéra unique, m'avait montré que lui aussi enfouissait quelque chose : la meilleure part de lui. Pour l'instant, j'étais cependant trop perdu pour trouver une solution, ou, si j'en trouvais une, être sûr de l'appliquer.

Comme nous étions samedi, Thomas et moi allions nous offrir une session de surf à Storm Point. De quoi oublier un moment les actes de Mallory. Les foutre dans un recoin, le temps d'une glisse, le temps de l'aimer lui, Thomas. Et parce que Mallory avait hésité, qu'il ne m'avait pas frappé davantage, j'avais l'espoir, encore, que les choses se tassent entre nous.

Thomas m'attendait devant sa porte, sac sur le dos, canne à la main et longboard contre le mur. Je me garai pile à côté de lui. Il portait des lunettes de soleil classe, pour protéger ses yeux au même titre que les voyants, pas pour les cacher. Puisqu'ils étaient intacts, il devait en prendre soin, surtout qu'ils étaient clairs. Il ôtait toujours ses solaires en intérieur ou les jours nuageux.

— Alors ? me demanda-t-il, dès que je descendis de mon vieux pick-up.

— Alors quoi ? rétorquai-je pour gagner du temps, tout en installant sa planche par-dessus la mienne sur la plate-forme de mon véhicule pour les sangler ensemble.

— Tu te fiches de moi ? rigola Thomas. Ta soirée avec Mallory ?

— J'étais trop crevé pour t'envoyer un compte-rendu détaillé en rentrant.

— J'imagine. On peut surfer et en parler aujourd'hui. Comment ça s'est passé ?

— C'était épuisant, moralement et physiquement, avouai-je, et je ne mentais pas.

L'un est mon double, l'autre mon trouble, roman édité, 5 chapitres disponibles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant