Chapitre 15

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   Les enfants ne se virent plus durant toute une semaine. Charity était affligée par ce silence qui lui minait le moral comme l'eau mine doucement la pierre. Chaque jour, elle épiait la fenêtre en quête d'un mot, d'une lettre portée par un domestique de la part d'Aaron ou de Stephen. Mais, chaque jour lui apportait une nouvelle déception.

   La voyant dans cet état, Frances s'alarma et se rappela soudain l'été de la mort d'Henry. Elle n'avait pas vu sa fille souffrir autant depuis. Elle semblait lointaine, perdue dans ses pensées secrètes. Au terme du septième jour, elle se décida à lui parler. Elle entreprit de monter l'interminable escalier qui menait jusqu'au deuxième étage et frappa à la porte de sa fille. N'entendant aucune réponse, elle poussa doucement la porte qui était restée entrebâillée.

   Elle pénétra alors dans la chambre plongée dans la semi-obscurité et fut décontenancée en la découvrant vide. Ne s'avouant pas battue tout de suite, elle entreprit de fouiller la maison de fond en comble tout en appelant d'une voix forte :

—Charittyyy ! J'ai à te parler, où es-tu ?

   Voyant qu'elle n'obtenait aucune réponse, elle brusqua Bertille en la retenant parle bras tandis qu'elle passait par là. Sans s'en rendre compte, elle la maintenait d'une poigne ferme et solide si bien que cette dernière prit peur. Elle écarquilla de grands yeux innocents et se prépara à s'excuser pour ce qu'elle avait bien pu faire. Mais Frances, à bout de souffle après avoir cherché sa fille, n'y prêta aucune attention. Elle demanda aussitôt :

—Bertille, auriez-vous vu ma fille ?

   Celle-ci se soulagea presque immédiatement. Ça n'était pas après elle qu'on en voulait ! Elle se détendit et réussit à articuler :

—Charity aime prendre de la hauteur. Je sais que lorsqu'elle est triste, elle se réfugie là-haut, dans la grande tour abandonnée...

— Dans la tour abandonnée ? Mais c'est dangereux ! Qu'est ce qu'elle peut bien y faire !

   Frances s'apprêtait à tourner les talons, au grand soulagement de la domestique, quand elle reprit :

—Bertille, une dernière chose : lorsque j'aurai retrouvé ma fille, nous reparlerons du fait que vous n'ayez pas pensé à me prévenir qu'elle jouait dans une tour dangereuse qui mériterait d'être détruite.

   Elle tourna les talons sans même attendre une réponse de la part d'une Bertille toute recroquevillée sur soi-même. Cette dernière avait si peur d'être renvoyée ! La nervosité de sa maîtresse ne lui avait pourtant pas échappé, aussi, elle fut soulagée en pensant que c'était cet état de tension qui avait poussé Frances à être aussi dure. Elle ne savait pas, elle, qu'il fallait qu'elle raconte à sa maîtresse les moindres faits en gestes des habitants de la maison !

   Pendant ce temps, Frances avait enfin trouvé sa fille. Lorsqu'elle poussa l'énorme porte ancienne qui menait au sanctuaire de Charity, l'air glacé de la nuit tombante la fit frissonner. Pour la première fois, elle découvrit la tour en ruine baignée par la lumière du soleil déclinant, et compris pourquoi sa fille aimait venir se réfugier en ce lieu.

   Il y régnait un calme olympien. Seul le bruit du vent s'infiltrant dans chaque interstice de pierre parvenait aux oreilles. Par intermittence, on pouvait apercevoir au-dehors par les brèches plus ou moins grandes du mur.

   Frances entreprit de grimper les premières marches. Elle avait du mal à éviter les grosses pierres moussues qui jonchaient le sol et qui tordaient les pieds. Non sans difficulté, elle réussit à se hisser à la hauteur de sa fille. Celle-ci, perdue dans ses pensées, tournée vers une ouverture qui donnait sur la lande, ne la remarqua pas.

Stonemanor : Le Manoir de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant