Stonemanor : Le Manoir de pierre

Chapitre 12

  Le lendemain, deux personnes supplémentaires se joignaient au cortège. On s'était donné rendez-vous chez les Murgrove, car ils habitaient plus près de la plage. Sur place, Arthur, Ernest et Charity attendaient de pied ferme les Price qui ne devaient plus tarder. Charity portait la seule tenue d'amazone qu'elle avait. Elle était bleu marine et rehaussée de boutons d'or. Toute simple, elle mettait pourtant très en valeur les cheveux roux et la silhouette fine de la jeune cavalière.

  Ernest, avec son embonpoint de plus en plus prononcé à mesure que les années passaient, avait eu bien du mal à trouver un vêtement qui irait pour l'occasion. Avec son âge avancé, il redoutait la chute de cheval, mais il ne souhaitait pas non plus rester à la maison avec les femmes. Cela faisait trop de temps qu'il se sentait prisonnier, au chevet de sa femme malade et un peu d'air frais ne lui ferait que le plus grand bien.

  Frances n'avait pas tenu à accompagner tout le monde. Les exercices au grand air n'étaient pas sa tasse de thé et elle avait trouvé une très bonne excuse pour s'en passer : il fallait bien que quelqu'un s'occupe de Jane et lui tienne compagnie. Cette dernière était alitée depuis plus d'une semaine, allongée sans force dans son lit douillet. Elle toussait beaucoup et le médecin avait indiqué une maladie des poumons. Il semblait que Jane fut poitrinaire. Le seul remède connu était de partir loin, très loin dans un pays chaud. Mais la famille ne pouvait se permettre cette énorme dépense.

  Elle devait donc, à défaut d'un pays chaud, rester sous la couette près d'un bon feu. Et Frances avait pour mission de lui changer les idées.

  Arthur non plus ne souhaitait pas rester à la maison. Voir sa mère dans cet état était une dure épreuve et il lui fallait se changer les idées. Il avait donc passé ce matin-là, la première tenue qui lui était tombée sous la main et avait sauté en selle. Il ne leur restait qu'un cheval à monter, les autres servaient pour les travaux des champs. Les Price devaient en ramener un de leurs propres écuries pour qu'Ernest puisse monter. Quant à Charity, elle monterait avec son père, sur leur propre cheval.

  La veille, les domestiques ne s'étaient pas trompés, le temps était clair bien qu'il fut encore tôt. La montre d'Ernest indiquait huit heures quarante-cinq. Il faisait encore sombre et Octave n'avait apporté qu'une lanterne. Elle pendouillait haut contre le mur de l'enceinte, près de la lourde porte de chêne, éclairant d'un faible éclat les trois compagnons.

  Éclairés ainsi, ils semblaient afficher une mine patibulaire. Il faut dire qu'ils n'étaient pas habitués à se lever si tôt et qu'ils l'avaient fait inutilement puisqu'ils attendaient depuis maintenant un bon quart d'heure les retardataires.

  Avec l'humidité du matin, les cheveux mi-long et gris d'Arthur lui collaient la nuque, lui donnant l'air négligé. Il s'était coiffé de son seul chapeau haut de forme dont l'ombre du rebord cachait son expression. Ernest était au supplice, ses rhumatismes étaient d'autant plus lancinants du fait de l'humidité de l'air. Il affichait donc une grimace d'agacement et de douleur, ce qui retirait tout ce qu'il y avait de gentil et de rassurant dans son apparence.

  Les trois mines s'égaillèrent lorsqu'un son de trot leur parvint aux oreilles. Les Price étaient enfin là, et la journée allait pouvoir commencer. Ils se saluèrent tous rapidement et remontèrent en selle aussi rapidement. C'était lord Bertram qui portait le pique-nique, ou du moins son cheval. Arthur avait également pris de quoi manger et l'avait placé dans la petite sacoche attachée à sa monture.

   Après avoir vérifié qu'ils n'avaient rien oublié, ils se mirent en route pour la petite plage la plus proche de chez eux. Elle était bien à trente minutes de la maison lorsqu'on poussait son cheval au galop. Mais c'était trop dangereux et il valait mieux rester au pas. Le petit groupe mit donc bien plus de temps pour l'atteindre.