Chapitre 5

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  Charity eut du mal à se remettre de la terrible perte qu'elle avait subie. Elle passa presque une semaine complète, chez elle, sans bouger, sans rien faire. Elle était amorphe, sans désir, prête à se laisser mourir elle aussi. Frances commença à s'inquiéter en voyant qu'elle ne mangeait pas.

  En regardant sa fille, elle songeait à quel point elle souffrait de la disparition de son ami. Elle-même avait perdu des membres de sa famille, des proches, et elle n'avait pas été aussi dépressive. Elle sentait chez sa fille, depuis longtemps, un penchant pour la mélancolie, mais elle semblait avoir quelque peu changé au contact de ses nouveaux amis. Néanmoins, elle avait replongé dans une sorte de langueur, dans un oubli de la réalité extérieure, et semblait noyée dans de sombres pensées.

  Frances s'alarmait de la situation : que pouvait-elle bien faire pour son enfant ? La faire sortir un peu ? Elle avait bien tenté cela, mais Charity lui répondait toujours :

— Pas aujourd'hui, je suis fatiguée, peut-être demain mère.

  Mais chaque jour, la réponse était la même, et l'état de Charity ne faisait qu'empirer. La nuit, c'était encore pire. Elle avait toujours fait beaucoup de cauchemars, mais ils étaient devenus si fréquents qu'elle en faisait un chaque nuit. Elle criait, se débattait dans son sommeil, et lorsqu'elle se réveillait, en sueur, c'était pour déblatérer de manière totalement hachée des mots comme « Henry », « Fantôme », « Ombre noire »... De bien sombres mots pour une enfant si jeune.

  Une autre semaine passa, semblable à la première, mais cette fois-ci, Charity acceptait les promenades que sa mère lui proposait, seulement elle restait maussade, son regard tourné vers le lieu de l'accident. Ses pensées étaient également moroses et mélancoliques. Elle ne cessait de se répéter qu'elle aurait dû prévenir les garçons, de ne pas se bagarrer si près du trou, qu'elle aurait dû écouter son pressentiment lorsqu'Henry avait suggéré l'idée.

  Au lieu de cela, elle l'avait écouté, et il en était mort. Son cœur était si douloureusement plein de remords, de culpabilité, d'envie de changement. C'en était trop pour une enfant de cet âge. Elle ne pouvait vivre un deuil aussi douloureux sans en subir de lourdes conséquences, ça, Charity en était certaine. Ce décès la changerait probablement pour toujours. Il lui semblait que jamais elle ne s'en remettrait.

  Cependant, quand l'été toucha à sa fin, Charity put à nouveau sourire comme avant. Elle n'avait plus que certains moments de mélancolie, qui arrivaient notamment le soir avant de s'endormir, mais en journée elle n'y pensait plus tellement. Elle avait repris ses jeux avec Aaron et Stephen, mais ils étaient maintenant accompagnés par un serviteur, qu'il soit de chez les Price ou de chez les Murgrove.

  Assise sur les marches de pierre qui menaient chez elle, dans l'enceinte du mur qui entourait la maison, elle repensait à la première fois où elle était retournée jouer. C'était quelques jours auparavant, leurs familles respectives s'étaient rencontrées et avaient décidé d'un commun accord de protéger les enfants en envoyant un domestique avec eux pour les surveiller.

  Ils avaient convenu également de réduire les temps de jeu, deux heures par jour au lieu de tout l'après-midi semblaient plus convenables. Le reste du temps serait consacré aux leçons où aux activités d'intérieur, comme lire, écrire, dessiner, jouer d'un instrument de musique. Charity pourrait dorénavant venir à Stonemanor pour interpréter un morceau au piano, car la famille Murgrove n'en possédait plus. Ainsi, chacun y trouverait son compte.

  Charity avait appréhendé le jour des retrouvailles avec Stephen et Aaron. Elle n'en avait pas dormi de la nuit. En voyant qu'elle ne pouvait trouver le sommeil, elle s'était réfugiée dans la tour et avait observé l'horizon, à la recherche de la femme fantôme qui cherchait à l'approcher. Mais elle n'y avait rien trouvé. Seul le vide lui faisait face. La lande, déserte, semblait calme et paisible pour chacun, sauf pour Charity, qui y voyait un lieu de mort, de désespoir. Elle ne pouvait s'empêcher de fixer chaque arbre mort, s'imaginant que l'âme d'Henry en avait peut-être rejoint un.

Stonemanor : Le Manoir de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant