Chapitre 1

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« Mes souvenirs les plus anciens remontent à mes cinq ans je dirais. Déjà à cette époque, c'était une nourrice qui s'occupait de moi au château. Hormis le fait que l'endroit où je vivais était immense, je menais exactement la même vie que la fille unique du pâtissier royal.

J'en vois déjà certains venir : "Pas tout à fait en fait, tu pouvais avoir tout ce que tu veux et peut-être pas elle !"

Permettez-moi de vous dire que vous inversez les rôles ; pas de cadeaux avant ou après Noël ou les anniversaires, pas de cheval m'appartenant exclusivement, pas le droit de sortir seule ou de fausser compagnie aux adultes...

Ah oui, c'était un de mes trucs favoris ça : me cacher. À croire que déjà à l'époque je savais que j'allais passer ma vie à courir aux quatre coins du pays et à fuir toute autre personne que les mercenaire et la famille royale ! Quoique... Peut-être était-ce fait exprès ?

Reprenons depuis le début : je m'appelle Irène De Fortchêne et j'ai été élevé au palais royal de Pacgozy. Il paraît que je suis née dans un autre pays et que j'ai servi de traité de paix entre Pacqgozy et cet autre pays qui m'est toujours totalement inconnu.

Je sais ce que vous vous dites : charmant ! Et ça va être la même rengaine toute ta vie ? Ma pauvre !

Le pire, c'est que vous avez raison ; jusque là ma vie n'est pas incroyable, voire assez triste : quels parents utilisent leurs enfants comme monnaie d'échange ? Réponse : des monarques. (De toute manière on savait tous qu'ils ne sont pas humains, non ? Je rigole, pas la peine de me pendre pour une imbécile !) Mais c'est après que les choses se sont corsées (je vous rappelle que vous ne me connaissez qu'à mes cinq ans pour l'instant).

Après, je suis devenue apprentie mercenaire du roi. C'est un apprentissage comme les autres ; en maths j'apprenais à calculer le temps qu'il faut pour sauter de cheval et se saisir de son épée pour se défendre ; en histoire j'apprenais toutes les villes du pays et des pays voisins ; en langues j'apprenais celle de mon pays et sept autres ; en sciences j'apprenais comment survivre en pleine nature, etc. Et puis à douze ans, j'ai rejoint les troupes d'apprentis mercenaires.

Bien évidemment, j'étais la "mascotte" du groupe : les autres sélectionnés avaient tous entre 16 et 25 ans. Il y avait d'autres recrues de d'autres tranches d'âges qui était répartis dans d'autres groupes. Nous, nous formions le groupe des plus jeunes, les "benjamins". Et moi, j'étais certainement la plus jeune benjamine de l'histoire de l'école.

Je me souviens de pas mal de visages attendris ou apitoyés, dans ce que je suppose être ma première année d'engagement. Je me souviens aussi que ces expressions avaient radicalement changé le jour où j'ai battu mon premier "camarade" à l'entraînement à l'épée. Certains se sont moqués du perdant, d'autres l'ont accusé de m'avoir laissé gagner. Et d'autres encore m'ont réévalué : j'ai su ce jour là que j'avais perdu mon statut de "petite mascotte" ; fini l'impression d'être la petite dernière d'une grande fratrie ! Désormais, j'étais devenue leur égale, une cible de plus à éliminer.

En effet, d'une année sur l'autre, tous n'avaient pas la possibilité de rester : il y avait une sélection. Sur 50, nous n'étions plus que 30 la deuxième année, 20 la troisième, 10 la quatrième et 5 la dernière. A l'issue de cette cinquième année, un ultime test avait lieu. Seul le meilleur des cinq avait le privilège d'être nommé mercenaire du roi. Les autres devenaient généraux ou conseillers de guerre, ce qui n'était pas moins enviable.

Je ne sais pas exactement ce que les autres voyaient en moi. Une cible ? Une fillette ? La chouchoute de la famille royale ? Toujours est-il que j'ai plusieurs fois constaté la disparition du matériel qui m'avait été attribué, qu'arrivé à mon tour de me servir à table il ne restait presque plus rien ou encore que lorsque j'étais priée de faire une démonstration par les maîtres d'armes, le moindre geste pouvait entraîner une multitude de fous rires moqueurs.

Je ne vais pas dire que je l'ai bien vécu. Ce serait pur mensonge. Je ne fermais plus l'œil la nuit et ne pouvais retenir mes larmes dans mes rares moments de solitude. J'ai aussi maintes fois hésité à aller voir mes professeurs pour les mettre au courant de ce qu'il se passait, avant de me raviser pour me dire que de toute manière, il fallait que je m'endurcisse pour la vie qu'on me réservait.

J'avoue avoir été très surprise le jour où un domestique est venu chercher mes affaires pour les déplacer dans une autre aile du château. Avais-je été renvoyé ou ma supplique muette avait-elle été entendue ? A moins que le roi ait changé ses projets, par insatisfaction de mes résultats ? Il était vrai que je n'étais pas la meilleure, et loin de là...

Aujourd'hui encore, je n'ai pas de réponse à ces questions. Mais cela n'a plus tant d'importance que ça, parce que j'ai gagné bien mieux : le meilleur maître d'armes de tous les temps. Le roi m'avait offert une formation avec la plus fine lame du royaume, celui que lui-même surnommait "Coeur de Fauve".

Tous ceux qui l'ont connu et vous parleront de lui en témoigneront : c'était quelqu'un d'exceptionnel. »

Les lettres se mirent à danser et l'homme plongea en plein cœur de histoire de la petite fille.

Le faucon du roiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant