Chapitre 2

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La petite fille frissonnait, pieds nus sur le sol gelé, tentant d'accrocher tant bien que mal son armure malgré les sangles qui avaient mystérieusement lâché au moment où elle l'avait revêtu. Tout comme ses chaussures, disparues dans des conditions toutes aussi étranges pendant la nuit. Et en plus de ça, quelqu'un avait mis du somnifère dans son verre hier, ce qui faisait qu'elle était à présent gravement en retard à l'entraînement du matin. Et encore, tout cela n'était rien par rapport à ce qu'elle avait déjà vécu depuis le début de cette semaine...

Elle pressa encore le pas, se mettant à courir dès qu'elle eût fini d'attacher le plastron rebelle. Trop occupée par la vérification de tout ce qu'elle portait sur elle, elle ne vit pas l'homme qui se mit en travers de son chemin et le percuta de plein fouet. Déséquilibré par le choc, elle tomba à terre, la tête la première sur la terre humide et battue du chemin qu'elle venait d'emprunter.

Elle accepta la main que l'autre lui tendait pour l'aider à se relever, murmurant un rapide "désolé" sans oser relever les yeux vers son interlocuteur, mortifiée de s'être ainsi fait prendre. En effet, l'étude de l'environnement représentait une part importante de la formation de mercenaire, et elle venait de montrer publiquement qu'elle avait encore à travailler ses compétences.

Elle épousseta rapidement ses vêtements, récupéra son épée d'entraînement qui avait roulé à terre et reparti, non sans s'être excuser une ultime fois.

« Serais-tu Irène, la jeune apprentie de l'école de mercenaires ?» la retint pourtant l'homme.

Il avait un voix grave d'un calme étonnant ainsi qu'un petit quelque chose en plus qu'elle ne savais identifier. Elle s'arrêta et se retourna après une courte seconde d'hésitation. Et en le voyant, elle sut ce qui lui avait échappé.

D'une stature moyenne, il se tenait droit et incroyablement élégant dans sa cape brune. À son côté droit pendaient une épée et un poignard et son habit semblait taillé pour les grands voyages. Son visage aux traits marqués par les épreuves ne laissait rien paraître de ses intentions mais étrangement cela ne l'inquiéta pas autant qu'elle l'aurait pensé. Elle se surprit même à l'admirer pour cela : il fallait une grande maîtrise de soi pour y parvenir, ses enseignants n'avaient cessé de le leur répéter depuis leur entrée à l'école.

Mais il ne fallait pas confondre admiration et confiance, elle le savait. C'était certainement la chose qu'elle avait le mieux retenu lors de ses leçons avec son précepteur. Elle se redressa donc fièrement, sans hostilité ni invitation à poursuivre cette conversation.

« Même s'il s'agissait de l'un de mes camarades, cela ne vous regarderait pas. Si vous voulez bien m'excuser...»

Et elle lui tourna le dos pour reprendre sa route. Mais en une fraction de seconde, avant même qu'elle ne puisse se rendre compte de ce qu'il se passait, il était devant elle, lame dehors. Elle tira également la sienne et para le premier coup qui visait son épaule droite, manquant de tomber sous le choc. À peine se fut-elle rétablie qu'il était de nouveau là, à viser son genou cette fois. Elle l'arrêta une seconde fois, mais avec beaucoup plus de mal. Elle tenta de passer à l'attaque, profitant du fait qu'elle était au sol pour lui taillader le pied. Mais son armure abîmée la gênait, en plus de son poids. Il suffit à son adversaire de lui poser le pied sur le cou pour l'empêcher de se relever et bouger, désignant ainsi vainqueur et vaincue. Elle ne relâcha pas pour autant son arme, prête à se défendre par tous les moyens. Elle avait déjà entendu parler de combats dans ce genre par les filles du dortoir qui venaient de la ville. Mais elle ne pensait pas que cela pouvait arriver à quelqu'un de son âge, et encore moins dans l'enceinte du château...

Contre toute attente, l'autre la lâcha et remis son épée dans son fourreau.

Refusant de se laisser avoir une seconde fois, l'enfant se remit sur ses pieds et s'éloigna rapidement, prenant cette fois la précaution de le garder dans sont champ de vision. Elle ne put pourtant pas s'empêcher de s'arrêter lorsqu'il se mit à rire, intriguée par cet étrange personnage. Qui était-il et que lui voulait-il ? Quel était son but ? Fascinée, elle le regardait rire comme s'il ne s'était rien passé. Elle fut même légèrement vexé de constater qu'il n'avait l'air ni essoufflé ni endolori par leur duel, contrairement à elle qui peinait à retrouver sa respiration et avait mal partout.

Lorsqu'il s'arrêta enfin, il posa sur elle son regard foncé de la même couleur bois que ses cheveux.

« Ravi de te rencontrer, petite. Je suis le mercenaire Alexis de Terre de Brume, chef de la garde personnelle du roi. On m'avait dit que je te trouverais ici... »

Au même moment, un cri se fit entendre depuis le bout du sentier.
«Apprentie Irène ! Chaque seconde de plus que vous mettrez à arriver sera une punition supplémentaire !»

Elle se mordit la lèvre et partit en courant, sans même prendre le temps de saluer l'homme qui avait prolongé son retard, voulant lui signifier par là qu'elle considérait cette punition comme de sa faute à lui. S'il l'avait compris, Irène ne l'entendit cependant pas s'excuser. En revanche, ce qu'il murmura attira davantage son attention et sa vigilance :

«Nous nous reverrons bientôt...»

Ces paroles la troublèrent plus qu'elle ne l'aurait voulu. Ainsi, bien qu'elle eût passé ses heures d'entraînement et de punition à se concentrer uniquement sur ce qu'elle faisait, lorsqu'elle rentra à son dortoir, longtemps après l'extinction des feux, elle y pensait encore. Ce fut peut-être pour cela qu'elle ne se rendit pas compte que toutes ses affaires avaient été déplacées avant qu'elle ne trouve un papier posé sur son oreiller sans housse.

«A Mlle Irène, apprentie mercenaire, dortoir P.

Rendez-vous dans l'aile Nord du château, premier étage, chambre numérotée 435. Vos valises vous y attendent. Reposez-vous-y et soyez prête demain matin, sept heures. Votre nouvel instructeur vous y rejoindra.

Ne faites pas honte à notre école et à ce que vous y avez appris.

Général De Bleu, directeur de l'école des mercenaires»

Le cachet qui scellait la lettre prouvait son authenticité. Malgré cela, la jeune apprentie peinait tout de même à croire ce qu'elle venait de lire. Mais ses camarades auraient-ils pu pousser la plaisanterie, même de mauvais goût, jusqu'à usurper le nom et les armes de leur directeur ?

Indécise, elle se conforma aux instructions du papier, le conservant précieusement dans une poche cachée de ses vêtements. S'il s'agissait réellement d'un mauvais tour, elle pourrait le présenter comme preuve si on la rabrouait. S'il s'agissait vraiment des consignes du général... Cela pourrait tout aussi bien servir.

Pas question de l'égarer ou de se le faire voler, donc.

Quand elle fût parvenue devant la porte de la chambre 435 et l'eût poussé, elle retrouva à sa grande surprise toutes ses affaires bien présentes, sans qu'il ne manquât rien.

La pièce était exigüe, il y avait seulement de la place pour le lit qui avait été fait, l'armoire devant laquelle attendait son matériel d'entrainement, et le bureau à tiroirs équipé d'une lampe, quelques feuilles, une bouteille d'encre et une plume. Juste à côté dudit bureau, un petit renfoncement, caché par un rideau, abritait une petite table, une bassine et de l'eau pour pouvoir effectuer sa toilette.

En somme, tout ce qui était nécessaire à une apprentie militaire pour respecter au mieux le serment qu'elle avait fait en entrant dans l'école.

Tout cela impressionnait quelques peu Irène. Pourquoi cette faveur d'obtenir une chambre individuelle ? Pourquoi le directeur avait-il parlé de "nouveau maître" ? Avait-elle fait quelque chose de mal ? Où s'était-elle montrée en dessous des espérances de la famille royale qui la protégeait ? Allait-elle être punie ?

Exténuée, elle rangea rapidement ses affaires, se changea, et s'endormit sitôt qu'elle eût posé la tête sur l'oreiller.

Le faucon du roiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant