Ce premier "épisode" se base sur l'univers et certains personnages de ma nouvelle Wolf Squad, parue en novembre dans mon recueil De cuivre et de graphènes.
Tellement la dalle.
Je regarde l'heure une fois de plus. À peine 20 h.
Je les imagine dans le salon, ce petit salon d'une baraque perdue dans la banlieue, avec les guirlandes et tout ce qu'il faut. Le sapin dans un coin, son odeur de sève... La dinde sortie du four. Le gâteau qui cuit tranquillement.
Mes tripes se tordent. J'en salive.
Putain.
Si quelque chose au monde justifie de supporter ces connards ce jour-là, c'est bien la bouffe.
J'entends encore ma mère toute triste au téléphone. « Tu pourrais être avec nous en visio... on a le grand écran Domus sur le mur, maintenant, tu sais ? »
Et puis quoi encore.
Vous regarder vous goinfrer pendant que moi je suis là avec mon bol de riz à l'eau insipide que j'arrive même pas à avaler.
Supporter les commentaires biocons' du vieux sur mes cicatrices toujours gonflées, sur les cotons que je m'enfonce dans le pif comme un junkie sous coke.
Bio con, ouais.
Tu pourras jamais comprendre.
20 h 05, un soir de Thanksgiving, et je crève de faim.
Je pose mon bol de riz merdique. Il me faut autre chose.
Un nuage de poussière invisible s'élève quand je me sors du canapé. Acariens. Poils. Débris textiles. Cendre de clopes – depuis combien de temps je suis plus avec Lætitia ? Putain, comment il peut en rester encore ?
Le tourbillon miniature d'odeurs agresse mes narines à travers la bourre ouatée. Je retiens la toux compulsive, l'éternuement. Calme-toi, corps de merde, il n'y a rien. On respire doucement, par la bouche, voilà, c'est mieux.
Expédition cuisine.
Le broyeur de l'évier est crade. Je sens les trucs qui pourrissent à l'intérieur. Des milliards de bactéries et d'autres saloperies en train de bouffer les restes, les bouts de pâtes, l'amas de sauce, de...
Je chasse l'image invoquée par ces particules qui se foutent au fond de mon nez, chatouillent les capteurs (si petits, minuscules, comment une merde aussi microscopique peut changer la vie à ce point ?)
Le frigo. Main sur la poignée. J'hésite. Avant-hier, j'ai gerbé instantanément à peine la porte ouverte. L'afflux de puanteur, le reste d'un jus de viande qui a coulé dans un coin, tache imperceptible, un fruit moisi qui a marqué la grille... Mais avant-hier, je supportais même pas l'odeur de mon propre corps. Ces miasmes en train de pulluler dans ma sueur, sur ma peau, sous mes ongles, qui dégagent tous leurs nuances aigres, horribles, que tu peux laver, laver, laver encore, mais elle persiste, toujours, tout le temps, juste qu'on s'y fait, qu'avez un nez de base tu l'oublies, l'ignores, sous le radar.
Tête lourde. Je sais plus si c'est les cachets, les nuits de merde, la faim, un début de septicémie nosocomiale ou juste un coup de barre.
Ouvre cette porte.
Je tire le battant magnétique comme si un truc allait m'exploser à la tronche à l'intérieur.
Les étagères vides sous la lumière crue. Quelques yaourts au fond. Une tomate qui fait la gueule. Une boîte de restes de je sais pas quand avant l'opération. Je crois que je vais devoir la jeter entière, si je trouve le courage de seulement l'attraper.
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CyberNoël chez KeoT
Short StoryUn recueil de nouvelles à la façon des épisodes de Noël que proposent certaines séries, chaque texte-épisode (indépendant) étant basé sur une autre de mes œuvres, publiées ou non, en reprenant thématique, personnages et univers dans un contexte de f...