Enfin, il retrouve son calme. Il boit son avant-dernière doucement. La dernière sera pour avant dormir. Son camp est dans un ancien entrepôt de pneus, encore rempli de matos, dont le toit ne tient plus que sur un côté. Sa dernière nuit sans carton. Demain, il fera le plein et il les mettra à l’abri et il pourra dormir bien pendant un sacré bout de temps. Pas trop tôt, la température baisse. Le trottoir est une vraie patinoire. Il va faire froid cette semaine.
Arrivé devant le portail, il s’apprête à enlever la chaine sans cadenas qu’il laisse là juste pour décourager les voleurs, sauf que la chaine n’est plus là. Merde.
Il pousse le portail tout doucement, pour éviter qu’il grince. S’avance à pas de loup et, ça ne rate pas, y a un fils de chien qu’est en train de fouiller dans son sac. Il empoigne la bouteille presque vide par le goulot et s’approche en scred du connard. Lui n’entend rien. Il va comprendre, cet enculé. L’homme fourmi atomique n’en est pas à sa première baston. Il va le pourrir ce fumier. Il lève la main, mais une pensée l’arrête. Il reste de la bière dans cette canette.
« Hé ! »
Le connard fait un bond d’un mètre de haut et se retourne. C’est un vieux renoi, la barbe poivre et sel, dread locks qui pendent du bonnet. « Man man man ! Excuse-moi… Je sais pas… J’ai rien pris ! Je te jure ! Je me casse, je me casse ! » L’homme fourmi atomique secoue la tête avec dédain. Il pourrait se le faire d’une main, sans renverser la bière. Mais il n’a pas envie. Le keum a l’air encore plus crade que lui. Il ne sait pas pourquoi mais il chope sa dernière canette au fond de son pack et lui tend. « Allez, casse-toi avant que je te fonsdé. » Le renoi fixe la canette un moment, puis s’en empare comme s’il venait de traverser le Sahara sans gourde : « Merci man ! Joyeux Noël, man ! » Il se tire en boitant. L’homme fourmi atomique finit sa dernière gorgée et s’assied sur un pneu. Quel con. Il aurait dû lui taxer une clope.
L’ivresse le plonge peu à peu dans un sommeil improbable par le froid qu’il fait. Il s’endort assis. La canette vide roule de sa main sur le sol maculé de boue maintenant gelée. Une heure plus tard il s’écroule à même le béton, à côté du carton mouillé tout aplati qui lui fait office de matelas. Il ouvre les yeux une seconde, mais ne bouge pas. Fait trop froid. Il referme les yeux. Pour la dernière fois.
Ce n’est que deux semaines plus tard qu’un ado du quartier retrouvera son corps congelé.
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L'Incroyable Noël de l'Homme Fourmi Atomique
RandomL'homme fourmi atomique se surnomme comme ça depuis qu'il habite rue du Carton sous les Ponts. Comme l'année dernière, il se gèle le cul dans les rues de la ville pendant que tous les caves sont au réveillon de Noël. C'est alors qu'au détour d'une r...