CHAPITRE 51 : « C'est le temps »

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E D E N

Les appels à l'aide d'un cœur détraqué vrillent l'air de leur silence assourdissant. L'amour épingle des couleurs criardes sur les âmes sombres, et pourtant les nuages deviennent si vite tempête. La pluie appelle si rapidement l'orage, les éclairs méprisants, la foudre terrifiante et le grondement brutal du tonnerre. L'éphémère n'existe pas dans la peur. L'anxiété braconne les teintes chaudes ; la froideur étouffe alors le bonheur. Dans des éclats calmes, le cœur fissuré expose ses entailles, ses blessures. La tempête devient alors ouragan. Le blizzard ravage l'âme, la tourmente et tente de l'emporter. Le cœur hurle, se défend et tous les éclats de ce même cœur tombent dans un bruit assourdissant. C'est le temps.

Le ciel s'assombrit lentement, tandis que la nuit commence à étendre son doux voile sur la ville fantomatique. Le cœur battant à tout rompre, je patiente devant le portail du lycée, nerveux et impatient. Étrangement, les quelques regards sur moi, les quelques lèvres qui articulent je ne sais quelles rumeurs, m'effraient un peu moins. Cela érafle toujours mon cœur, mais ne le transperce pas. Retrouver Adès me parait bien plus important. Mon palpitant doit le ressentir, je suppose. Un léger sourire s'échoue sur mes lippes à la simple idée de pouvoir prendre sa main dans la mienne, de pouvoir effleurer sa peau. Mon muscle cardiaque s'emballe quand l'envie, de pouvoir frôler ses lèvres des miennes, nait dans mes pensées. Je veux juste le sentir vivant et heureux contre moi, dans mes bras.

La sonnerie du bâtiment scolaire s'époumone soudainement et je fais quelques pas en arrière, dans le but d'éviter la masse de lycéens qui va brutalement s'engouffrer en dehors du lycée. Les premiers élèves passent devant moi au pas de course, pressés de rentrer chez eux pour profiter du week-end. Les rires résonnent autour de moi, les blagues fusent et les adolescents se bousculent. Quelques corps frôlent le mien, mais je ne réagis pas vraiment. Je suis paralysé à l'idée de devoir m'expliquer avec Adès et en même temps, je veux pouvoir observer son sourire apaisant. Lorsque sa silhouette apparait au milieu des autres ombres, un sourire maladroit vogue sur mes lippes. Pour la première fois depuis longtemps, je prends réellement le temps de le regarder. Lui et ses habits bariolés. Lui, ses cheveux clairs et son bandana noir. Lui et son skate. Lui, ses mouvements enjoués et son aura de bonheur. Lui, ses iris caramels et son sourire solaire. Lui qui fait battre mon cœur.

La moue heureuse sur son visage devient bancale à ma vue, mais mon sourire le rassure et il me renvoie un regard bienveillant. Après avoir entouré Mila de ses bras pour la serrer contre lui et l'avoir salué d'un geste de la main, le blond s'élance vers moi, à grands pas. Sa joie de vivre me redonne foi en moi, en nous.

— On va chez moi ? il s'enquiert, avec un naturel désarmant.

Mon hochement de tête timide lui donne la réponse qu'il attendait. Dès qu'il se remet à fouler le sol de ses pieds, je lui emboite le pas. Avec douceur, Adès me tend l'un de ses écouteurs avant d'allumer l'une de ses playlists. Les paroles de The Cure résonnent dans ma tête, se mêlent à mes sentiments et me font rougir, tandis que le blond augmente le son, taquin. La voix de Robert Smith enchante mes oreilles, alors les mots qu'il prononce glissent sur mon âme. Friday, I'm in love. Une sensation de bien-être crépite en moi, quand je me souviens de la première fois où l'on a écouté cette musique ensemble. C'était un vendredi ; et on est de nouveau vendredi.

Le trajet se déroule dans ce silence, à la fois pas trop lourd, mais en aucun cas léger. Comme mon cœur dans ma cage thoracique. Pour être sûr que tout va bien entre nous, et aussi parce que j'en brûle d'envie, je glisse mes doigts contre les siens. Le bus accélère, au moment où Adès se saisit de mes doigts, pour les serrer contre la paume de sa main. Mon pouls devient fou ; je me sens à ma place, là où j'ai toujours voulu être. Adès trace de petits cercles asymétriques contre ma peau pâle, à l'aide de son pouce. Sa douceur apaise mon cœur, mes maux. Le silence compte aussi.

Le Fracas de nos CœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant