Recueil de textes

Ange ou démon ?

  "Privé de l'état de grâce", voilà la définition du mot déchu. Alors peut-on dire que je suis un ange déchu ? Ou bien dois-je plutôt dire que je suis une âme déchue ? Car, dans tous les cas, je suis privée de grâce, privée d'oxygène, privée de bonheur. Mais après tout, je n'ai rien d'un ange, ou alors je pourrais plutôt me comparer à un ange noir, un ange qui vient du bas monde. N'est-ce pas comme ça que les gens me voient après tout ? Et si j'étais un ange noir à l'âme déchue ? Cela conviendrait-il au monde ? Ou je n'ai pas le droit de dire que je vais mal ? Dois-je simplement acquiescer lorsque l'on me compare à un diable ? N'ai-je point mon mot à dire ? Dois-je toujours rester incomprise, tel un oiseau en cage, qui n'est pas permis de parler, ayant l'interdiction de mettre des mots sur ce qu'il ressent ? Dois-je réellement subir cette vie ? Ou puis-je enfin en profiter ? Mais profiter de quoi ? Je n'ai rien pour me combler, si ce n'est que ma peine immense, couplée à mon désarroi. "Mettre des mots sur ce que l'on ressent", même cette chose si simple, j'en suis incapable. L'Homme est censé être l'être le plus intelligent qui soit, capable d'exprimer ce qu'il ressent, ou de le faire comprendre autrement, et pourtant, j'en suis incapable. Je suis incapable de laisser mon coeur parler, c'est lui l'oiseau en cage qui n'a pas son mot à dire, il doit simplement lui aussi subir, subir mes émotions toutes aussi sombres les unes que les autres, tandis que son meilleur ami Cerveau doit rejouer en boucle ma vie, passant en revue chaque moment douloureux, comme-ci Coeur n'était pas assez mal comme ça. Mais peut être que se sentir mal me fait me sentir vivante, comme une preuve que j'existe, que je suis capable de ressentir quelque chose, même si ce sont des émotions en apparence néfastes. Qui à décider que la tristesse, la colère, la peine, la rage, et tous leurs amis sont des sentiments mals ? Qui a décidé que les seuls bons sentiments seraient la joie et le bonheur ? Et si pour moi les "bons" sentiments étaient ceux qualifiés de mauvais par les autres ? Et si c'étaient les seuls que je sois capable de ressentir ? Si toute ma vie je n'aurais le droit de ressentir que ces sentiments ci ? Qui serait en mesure de répondre à mes questions ? Qui serait capable de faire cesser mes pleurs ? Qui serait capable de me faire ressentir seulement de "bons" sentiments, les mêmes que vous ? Je connais déjà la réponse : personne n'en est capable. Et pourquoi ? Car d'après eux, le plus beau sentiment est l'amour, mais c'est aussi le plus douloureux. Comme une lame de rasoir, une fois ton trait fait tu te sens bien, mais par la suite tu te sens un peu plus dévastée, honteuse. L'amour est une flamme, là pour te réchauffer, t'éclairer, mais une fois éteinte, tu te retrouves glacée, incapable de voir dans l'obscurité, car elle sera devenue ta meilleure amie. C'est pour cette raison que je ne veux pas y toucher, ou du moins plus y toucher, je suis déjà assez glacée comme ça, alors pourquoi être réchauffée le temps d'un instant, tout en sachant ce qui nous attend ? Pourquoi se berner d'illusions quand on sait où nous mène ce chemin ? Pourquoi un être aussi intelligent arrive-t-il à être aussi bête et se laisser prendre à un jeu auquel il ne connaît pas les règles ? C'est amusant de jouer avec le feu, certes, mais pourquoi jouer quand on sait qu'il va nous calciner ? Aimer souffrir ? Je suis obligée d'avouer que je commence à aimer ça, autant que je le déteste, mais l'amour est la pire des souffrances. Ce que je veux c'est une main tendue, qui restera là, à mes côtés, capable de m'aimer autant que je l'aime, capable de lire en moi comme dans un livre ouvert, et ne se servira pas de cela pour m'enfoncer un peu plus, mais plutôt pour me tirer vers le haut, jusqu'à me faire sortir du gouffre. Mais bien évidemment, cette main tendue n'existe pas. Bien des fois, j'ai cru la voir, je l'ai attrapé, mais elle n'a fait que me pousser un peu plus bas dans ce trou. Alors je cesse d'espérer, je cesse de croire que l'on va venir me sauver, je décide de rester condamnée, en accord avec moi-même. Je sais qUe je suis un ange noir à l'âme déchue, et que personne n'arrivera à m'offrir des ailes pour que je puisse m'envoler, survoler la ville, et passer au dessus de mes problèmes, laissant mes sentiments tous aussi noirs au dessous de moi, loin de moi. J'accepte donc de servir d'hôte à cette peine, en acceptant celle des autres, pour qu'ils puissent eux s'envoler, qu'ils fassent ce que je ne puisse point faire. Est-ce égoïste de laisser les autres faire ce que je n'arrive pas ? Est-ce mal que de les aider à s'envoler, en gardant avec moi leurs méchants sentiments ? Il semblerait que oui, car je ne cesse d'être montrer du doigt, d'être designée comme un ange noir. J'aime la noirceur, je l'avoue, j'aime causer le mal, cela me ravit, tout autant que ça m'entaille intérieurement. Je suis sûrement la lumière, et l'obscurité à la fois. Faire le mal m'apporte satisfaction, me faisant brûler de plaisir, voir les autres brûler de mes mots me satisfais. Mais cela me brise, je n'aime pas causer du tort. J'ai dit que j'étais en accord avec moi même ? Et bien j'ai menti. J'ai l'impression d'être deux personnes à la fois, l'ange et le démon. Je sais que cela est inconcevable d'être deux choses aussi opposées, mais pourtant, je vous assure que c'est ce que je suis. La torche et le vent. J'éclaire les gens, mais j'éteins leur torche, les plongeant eux aussi dans une obscurité. Sûrement que je veux partager mon mal être, dans ce cas, je suis égoïste. Ou alors j'écoute trop les gens, et je suis simplement lumière ? Ou peut-être que je ne suis que l'obscurité ? Ou bien, je ne suis ni l'un, ni l'autre, je ne suis que brise de vent, errante, telle une ombre, à la recherche du jour pour m'éteindre. Je rêverais de m'éteindre, telle une étoile en fin de vie, mais je n'en ai pas le courage, bien trop lâche pour affronter ce qui m'attend par la suite, bien trop lâche pour assumer toutes les horreurs que j'ai faites. Alors je continue d'errer, ne sachant faire que cela, laissant mes pensées toutes aussi contradictoires les unes que les autres m'accompagner.