Chapitre 9 : Des Allers sans retours

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La porte se tenait une fois de plus devant lui. Souveraine, elle opposait son calme posé à l'appréhension qui tendait chaque fibre de son être. La veste de son prestigieux uniforme lui sembla trop grande, trop lourde à porter pour ses épaules courbées par le poids de la culpabilité. Une goutte de sueur glacée dévala la courbe de son échine tandis qu'il fixait la poignée. La pièce de laiton était patinée par le temps et les innombrables doigts qui s'étaient refermés autour, en dépit du cirage scrupuleux dont elle faisait l'objet. Lui-même l'avait saisie plus de fois qu'il ne saurait compter. Pourtant à cet instant Julian se tenait là, hésitant devant le bouton de porte comme si ce dernier allait soudain s'animer et lui sauter à la gorge.

Le jeune homme serra les poings contre ses flancs et secoua la tête. Ce geste dérangea une mèche de ses cheveux qui vint retomber sur sa tempe, juste au-dessus de son sourcil droit. Il se montrait ridicule et faible à se tenir ainsi comment un enfant effrayé qui attendrait d'être réprimandé. Il n'était plus un petit garçon. Il n'y avait plus de place pour la peur. La peur menait à la faiblesse et la faiblesse, sa faiblesse, pourrait avoir des conséquences désastreuses.

Ses paupières s'abaissèrent, dérobant à la vue du monde son regard agité. Il ne parvenait pas à s'y résoudre. S'il pénétrait dans cette pièce et remettait au général son rapport de la façon qui avait été convenue par Brakov et lui-même, il savait qu'il franchirait un point de non-retour. Une fois qu'il aurait menti à son père en le regardant droit dans les yeux, il pourrait faire une croix sur ses espoirs d'établir entre eux une confiance aveugle. Après cela, les mensonges s'accumuleraient les uns sur les autres et tisseraient autour du jeune officier une toile inextricable. Il ne pouvait pas le faire. Il ne pouvait pas piétiner ainsi la confiance de son père. Une petite voix pernicieuse vint alors glisser à son oreille « Allons, allons, est-il vraiment digne de cet atermoiement ? ».

Des images défilèrent devant ses yeux obstinément clos. Le regard fou du général, les pupilles dilatées par l'alcool ; son sourire empreint d'une satisfaction malsaine lorsqu'il avait appris qu'ils tenaient un témoin. Ces mêmes images qui l'avaient poussé à collaborer avec Brakov sans en référer à son père. Une pensée survola les arguments et réflexions contradictoires qui se livraient bataille sous son crâne. Cet officier qui se trouvait dans le bureau de son père cette nuit-là, il ne l'avait plus revu depuis. Il fronça les sourcils et nota mentalement de penser à faire quelques recherches à ce sujet.

Julian prit une dernière inspiration et cadenassa au plus profond de son esprit ses doutes et ses regrets. Sa décision était prise ; il laisserait le temps décider s'il s'agissait de la bonne. Le jeune homme fit rouler ses épaules pour en chasser la tension et tendit la main vers la poignée. Il endossa l'attitude la plus décidée et satisfaite dont il était capable et fit pivoter la porte sur ses gonds. Il pénétra dans le bureau de son père comme un condamné grimperait les marches de l'échafaud.

Les rideaux et fenêtres étaient grand ouverts et laissaient entrer des flots de lumière dans la pièce. Le parfum des massifs qui s'épanouissaient sous les croisées se mêlait à l'odeur de la cire qu'on avait passé sur les meubles. L'aspect et l'atmosphère qui régnaient dans le bureau étaient si différents de la dernière fois qu'il y était venu que le jeune officier marqua un temps d'arrêt. Ses résolutions vacillèrent sur leurs faibles fondations.

- Ah, le voilà ! Mon fils !

Julian réprima un sursaut avec difficulté tandis que le général se détournait de la fenêtre et s'avançait à sa rencontre. Il reçut l'accolade paternelle avec autant de surprise que si les portraits de ses aïeux accrochés aux murs lui avaient parlé. Son père éclata d'un rire sonore et le gratifia d'une tape sur l'épaule avant de se diriger vers le buffet qui siégeait dans le coin opposé. Il préleva deux verres de cristal et versa dans chacun une généreuse rasade de liquide ambré.

Vents ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant