Chapitre 4 : café et têtes brûlées

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Le jeune homme serra les dents pour contenir un bâillement tandis qu'il pénétrait dans la salle à manger. Bien qu'il n'ait pas eu à effectuer des tâches pour son père la moitié de la nuit comme cela avait été le cas ces derniers temps, le sommeil l'avait fui et il n'était parvenu à fermer les yeux qu'au petit matin.

Assise de part et d'autre de la table, deux silhouettes blondes et graciles levèrent la tête à son arrivée. Julian adressa une rapide prière à qui voudrait bien l'entendre pour que ses sœurs le laissent prendre son petit-déjeuner en paix. La plus jeune, une fillette aux grands yeux bleus angéliques, lui adressa un sourire radieux par-dessus sa tasse de porcelaine, la lèvre supérieure couronnée d'une fine moustache de lait. La seconde mordillait le coin de sa biscotte et posait sur lui un regard pensif. Le jeune homme soupira intérieurement. Les dieux n'étaient manifestement pas levés.

Après un sourire chaleureux à l'attention de la benjamine, il prit place aux côtés de sa deuxième sœur dans l'une des chaises à haut dossier. Julian entreprit de se servir une grande tasse de café noir tout en surveillant l'adolescente du coin de l'œil. Il savait toujours lorsqu'elle avait quelque chose à lui demander. Et son expression laissait présager que cette demande n'allait pas l'arranger. Il sentait sur elle son regard et apercevait à la périphérie de son champ de vision ses doigts qui pianotaient sur le bois laqué du plateau. Il la laissa mariner encore une bonne minute avant de reposer sa tasse. Il se tamponna ensuite le coin des lèvres avec toute la lenteur possible avant de finalement se tourner vers elle. Il haussa un sourcil interrogateur. C'était une méthode très efficace pour signaler à sa cadette qu'il était aussi prêt que possible à écouter se dernière idée farfelue, la jeune fille prit la parole :

- Il y a quelque chose que je voudrais te demander.

C'était presque comme un rituel entre eux. Quoi qu'elle veuille, ils savaient tous les deux qu'elle lui demanderait quoi qu'il arrive. Mais elle commençait toujours par cette phrase. Julian prit une gorgée de café et l'invita à poursuivre d'un hochement de tête. Il y eut un instant de silence, comme si elle prenait le temps de choisir ses mots avant de se lancer.

- J'aurais besoin que tu m'aides à retrouver quelqu'un.

Impassible, il porta de nouveau la boisson à ses lèvres. Le service était incongru mais encore dans les limites du raisonnable. En tout cas pour sa sœur. En bon officier, il attendait d'être en possessions de toutes les informations avant de réagir. Hésitante, la jeune fille continua, traçant avec sa cuillère d'argent des arabesques à la surface de son chocolat chaud.

- Voilà, il y a quelques jours, j'ai fait la rencontre d'un garçon aux Jardin des plantes.

La tasse s'immobilisa à mi-chemin de la bouche du jeune homme et le liquide brûlant lécha le bord de la porcelaine. Il fallait dire qu'il ne s'y attendait pas à celle-là. Son regard d'acier se braqua dans celui, si semblable, de sa sœur et celle-ci reprit précipitamment :

- Personne d'important, d'ailleurs je ne connais même pas son nom, c'est aussi pour ça que j'ai besoin de ton aide. Mais il possède un réel talent et je me disais qu'il accepterait certainement de faire un portrait pour Denitsa. Pour son anniversaire.

Des muscles qu'il n'avait même pas sentis se contracter se relâchèrent imperceptiblement. Avant de se crisper à nouveau. Quand est-ce que cette rencontre avait eu lieu ? Elle était censée n'avoir rien vu d'autre que l'intérieur des murs de la propriété depuis maintenant plus d'une semaine. Il se morigéna intérieurement. Il aurait dû s'y attendre. Sa tête de pioche de sœur n'avait jamais aimé être enfermée. Même lorsque c'était pour son propre bien. Mettant à profit ses années d'entraînement de contrôle de lui-même et de ses émotions, il reposa sa tasse sur la soucoupe assortie avec des gestes mesurés. Avec un sourire bienveillant, il invita Denitsa à aller se prépare pour ses leçons. Il était hors de question que les écarts de conduite de sa grande sœur ne l'inspirent. Bien que la fillette fût à côté d'Ana un modèle de sagesse, on n'était jamais trop prudent dans cette famille.

Vents ContrairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant