45. 4 février 2019, 9h30

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Quand Nico revient à sa place autour de la table de la cuisine, Ushijima est au téléphone avec Hirugami, et Miwa vient visiblement de finir de s'entretenir avec Oikawa.

-Je voulais avoir quelques détails, dit-elle à voix basse. Sur le début du lien, tout ça. Je m'en doutais un peu, parce que Tobio avait quatorze ans quand Kazuyo est décédé, mais c'est ce qui a déclenché les premières sensations.

Romero essaie de se rappeler ce qu'il faisait, quand Tobio avait quatorze ans.

-C'est quelle date ? demande-t-il.

-C'était en mars 2011.

-Ah.

Le même mois que Jô. Tobio et lui ont perdu la personne à qui ils tenaient le plus à quelques semaines, peut-être quelques jours d'écart. Nico n'a jamais fait le rapprochement, mais même sans lien, leurs destins semblent étroitement liés... On aurait pu déclencher un lien réciproque. Chacun dans son chagrin, on n'aurait sûrement rien remarqué.

-Ils réessayent le lien ? demande-t-il en jetant un œil vers le salon.

-Oui. J'espère que ça marchera, cette fois.

Ils se retournent pour observer discrètement. Oikawa est assis sur le canapé, le spécialiste en face de lui. Tooru a fermé les yeux, les mains posées sur ses genoux, et il a presque l'air endormi ainsi. Nico se lève, dévoré par la curiosité –à cet instant, Tooru est ce qui le rapproche le plus de Tobio.

Il ne le quitte pas des yeux. Le visage d'Oikawa commence à trahir des choses, le lien semble prendre le dessus. Ses paupières frémissent, ses lèvres dessinent des mots qu'il ne prononce pas. Une goutte de sueur roule sur son front et sur sa tempe tandis que ses joues perdent leur peu de couleurs. Nico voit ses doigts bouger nerveusement –et bientôt c'est tout son corps qui tremble incontrôlablement.

-Oikawa-san, l'avertit le spécialiste.

Tooru n'a pas l'air d'entendre. Des larmes apparaissent sous ses cils et dévalent ses joues. Il a l'air plongé dans un cauchemar –et sa bouche s'ouvre encore sur des phrases que Nico ne déchiffre pas. Est-ce qu'il parle à Tobio ?

-Oikawa-san !

Cette fois, il ouvre les yeux, revenant tout à coup à lui, prenant une grande inspiration comme s'il avait passé les dernières minutes en apnée. Il y a quelque chose de hanté dans ses pupilles, quelque chose à propos de la scène tout entière qui met Nicolas profondément mal à l'aise, et il se hâte de détourner le regard.

Ushijima apporte un verre d'eau, Oikawa va s'appuyer à la fenêtre pour avoir un peu d'air, et ils ne sont toujours pas plus avancés.

Nico n'arrive pas à se défaire de son sentiment de gêne. Il a l'impression d'avoir assisté à quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir, comme si la connexion des âmes sœurs devrait rester secrète. Savoir qu'il ne peut pas contribuer à l'enquête le frustre –ça devrait être lui, en train de faire des efforts pour retrouver Tobio, en train de souffrir pour tirer le plus infime indice.

Mais non, c'est Tooru. Et Tooru remplit parfaitement son rôle, envers et contre tout. A quoi peut-il bien penser ? Qu'il s'est engagé, et doit aller jusqu'au bout, peu importe ce que ça coûte ? Ou tout cela, le fait-il pour Tobio lui-même ? Leur relation n'est toujours pas très claire aux yeux de Nico, mais ce qu'il constate sans mal, c'est qu'Oikawa tient à Kageyama. A sa propre façon, peut-être, mais tout l'indique dans son comportement.

Il a l'impression de voir défiler la suite devant ses yeux. Tobio sera reconnaissant à Tooru de l'avoir sauvé, et Tooru en profitera sûrement pour reprendre contact. Le lien sera pleinement activé, Tobio ne voudra pas toucher aux annihilateurs, il faudra vivre avec. Y résister. Ce qui signifie quatre ans avant que le lien ne s'efface. Quatre nouvelles années d'attente.

S'ils parviennent jusque-là.

RéfractionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant