37. Fin mars 2018

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Nico vient d'envoyer le selfie qu'il a fait avec Ninja Shouyou à son fils quand Wakatoshi Ushijima émerge de la foule, se plante devant lui, le regarde un instant d'un air neutre, puis déclare :

-Kageyama est saoul.

Voilà qui doit être amusant, songe Nico. La soirée est bien entamée, et pour son plus grand plaisir, elle est animée par des gens autrement plus drôles que ses coéquipiers des Adlers. Il fait deux fois le tour de la salle bondée avant de repérer Tobio, debout dans un coin à siroter un gobelet.

-T'es là, mon chéri, murmure-t-il en enlaçant Tobio d'un bras.

Kageyama le regarde avec de grands yeux aux pupilles dilatées, et ses joues colorées ne trompent pas, il a bu quelques verres de trop.

-Je suis là, répète-t-il avant de descendre son verre. T'as goûté les cocktails de Miya ? Tu devrais goûter, mon chouchou. Je suis sûr que tu vas aimer.

Mon chouchou. De tous les surnoms que Tobio aurait potentiellement pu lui donner, s'il lui en donnait en étant sobre, c'était probablement un des plus inattendus.

-Je crois que tu bois beaucoup, déclare Nicolas dans un japonais plutôt décent.

Kageyama s'en fiche, bien sûr, et le tire par la main jusqu'au même blond narquois –Miya, apparemment- que Nico a l'impression de retrouver dans toutes les fêtes, installé derrière le bar et qui les gratifie aussitôt de deux gobelets remplis.

Miya dose aussi bien ses verres que Lucas, se rend rapidement compte Romero en se sentant l'esprit léger. Mais il y a de la musique et du monde, et il ne se prive pas de profiter un peu de la soirée –le seul moment où il quitte la piste, c'est pour vérifier que Tobio n'est pas plus pompette que tout à l'heure, et il finit par l'apercevoir au fond d'un couloir, assis sur les escaliers avec Ninja Shouyou. Ils ont l'air en pleine discussion importante, mais Nico n'entend pas ce qu'ils se disent, et l'important est que Kageyama aille bien.

Tobio le rejoint un certain temps plus tard sur la piste, et, pour sa surprise, accepte de danser avec lui. Il fait noir, les gens sont collés les uns aux autres, la musique est trop forte et rythmée, ils ont tous les deux bu, la danse ne tarde pas à se faire sensuelle –et arrive ce que Nico redoute depuis un certain temps. Kageyama le tire soudain par le T-shirt pour le rapprocher, plaque leurs corps l'un à l'autre avec indécence, se cambre légèrement contre lui ; et une seconde plus tard Nico sent ses lèvres dans son cou, sa langue, et il préfère l'écarter et quitter la piste avant de perdre tout contrôle et de lui rendre son ardeur.

Respire, Nico. Le lien. Ils ne peuvent pas, il le sait très bien. Il le sait, il le sait, mais Tobio le veut, lui aussi le veut, c'est à peine s'il se retient de lui sauter dessus –et il se combat intérieurement avant de laisser la raison reprendre le dessus, celle qui lui dit que Tobio tombera de sommeil en deux minutes s'il l'emmène dormir et que ce serait probablement mieux pour lui et ses hormones :

-On devrait aller dans notre chambre.

-C'est le genre de truc que tu dirais si on allait baiser, sourit Kageyama.

-Nan, contredit Nico en le poussant dans l'escalier. Je n'abuse pas des mecs bourrés.

Même si j'en ai très envie. Les choses ne s'arrangent pas quand il doit soutenir Tobio et que tout ce que celui-ci trouve à faire, c'est essayer de glisser les mains sous son T-shirt pour le toucher.

-S'il te plaît, mon cœur, supplie-t-il. Ne rends pas les choses plus difficiles.

Il arrive tant bien que mal à mettre Tobio au lit, et s'assied contre le mur, essayant désespérément de se calmer. Ça ne ressemble pas à Kageyama de se mettre une cuite pareille. A mentir en disant qu'il ne sent plus lien, à essayer d'aller plus loin comme ça –et il a parlé avec Ninja...

C'est une pure hypothèse, mais il décide de tenter.

-T'as parlé du lien avec Ninja Shouyou.

-Oui.

La tête de Nico tourne, lui aussi a trop bu. Ninja est le meilleur ami de Tobio, il doit savoir des choses sur son âme sœur, il la connaît peut-être. Peut-être qu'à lui, Kageyama s'est ouvert de tout ça, de tous ces secrets qu'il garde encore.

-Lui, il sait le nom ?

Kageyama détourne les yeux.

-Oui, répond-il à nouveau.

Romero ne sait pas depuis quand il a l'alcool triste, mais ça lui tombe dessus d'un coup. Kageyama fait plus confiance à un ami qu'il n'a pas vu depuis des années qu'à lui, son petit-copain. Petit-copain uniquement de nom, a-t-il parfois l'impression, parce que Kageyama lui dissimule tout ce qui concerne son âme sœur, et encore une fois, ça témoigne juste qu'il n'arrive pas à en faire abstraction. Et Nico se retrouve à jouer le gentil dans tout ça, le mec patient, celui qui borde tendrement son copain ivre et excité plutôt que d'en profiter pour assouvir ses propres pulsions, celui qui accepte de n'être qu'un petit-ami sans lien, celui qui passe après son âme sœur.

Il a une boule dans la gorge, mais hors de question de pleurer devant Tobio.

-Je vais te chercher un verre d'eau, marmonne-t-il donc, désireux de quitter la pièce.

Tobio agrippe son poignet pour l'empêcher de partir.

-Nico, l'appelle-t-il faiblement. Nico, tu n'es pas mon âme sœur.

-Je sais.

-Tu ne seras jamais mon âme sœur.

-Je sais, Tobio.

Je le sais. Tu n'es pas lié à moi. Tu n'as rien à faire avec moi. Je ne fais que remplacer quelqu'un d'autre-

Et Kageyama murmure :

-Mais c'est toi que j'aime.

RéfractionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant