32. 22 décembre 2016

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Ça fait des semaines qu'ils le préparent, et l'anniversaire surprise de Tobio arrive enfin. Nico n'a jamais vu autant de monde dans l'appartement d'Ushijima et Kageyama, mais ça lui faisait plaisir de rencontrer tout le cercle d'amis de Tobio ; il a même l'occasion d'apercevoir son meilleur ami par Skype, un petit roux dénommé Hinata. Comme d'habitude, il se fait rapidement encercler pour des autographes ou des photos, même dans un cadre si privé.

-Eh dis, Nicolas, demande un blondin à l'air impertinent en posant une main sur son épaule, si Tobio-kun te demande un autographe, où est-ce que tu le signes ?

-Je lui en signe plein partout, réplique Nico en tirant la langue.

Romero n'y fait plus spécialement attention ensuite, mais l'idée de tatouer Kageyama de sa signature est assez plaisante. Ce genre de pensée se fait de plus en plus fréquente, et il commence à se dire que, peut-être, il pourrait lâcher un peu de leste ; voilà bientôt quatre mois qu'ils sortent ensemble, tout se passe à merveille, ses derniers doutes se dissipent, et il serait peut-être temps d'aller plus loin. Ce soir est l'occasion idéale –il repart pour le Brésil le lendemain, et ça leur laisserait à tous les deux un souvenir à savourer.

Il retrouve donc Tobio sur son balcon en dépit du froid glacial, et Kageyama se niche immédiatement contre lui.

-Ils sont autour de toi, se plaint Tobio.

Romero croit d'abord qu'il veut plus d'attention de la part de ses proches avant de se rendre compte que ça ne sonne pas du tout comme Kageyama –et de comprendre avec délectation :

-Mon petit Tobio est jaloux, susurre-t-il. T'inquiète pas. Je suis tout à toi.

-Dis pas des trucs comme ça ! s'écrie Tobio d'une voix aigüe.

Romero rigole quand Kageyama rougit : il a toujours trouvé ça adorable, ça lui réchauffe le cœur à chaque fois. Il passe le revers de son pouce le long de sa joue, douce, chaude et toujours colorée ; puis ses yeux accrochent ceux de Tobio –tellement profonds dans l'obscurité de cette nuit hivernale, tellement expressifs, emplis de curiosité, d'attente et d'une douceur que Nico ne lui avait jamais suspectée en premier lieu, mais qui ne manque jamais de le faire fondre.

Et il sent que c'est le moment. Ses doigts se glissent contre la joue de Tobio, puis il penche légèrement la tête pour murmurer :

-Joyeux anniversaire, Tobio.

Il veut l'embrasser. Il croit l'embrasser. Mais Tobio a un mouvement de recul, dresse une main entre eux, et il y a quelque chose dans ses yeux proche du choc qui brise un peu le cœur de Nico.

Okay, okay. C'était une mauvaise idée.

Il a envie de partir. Il a envie de s'enfuir. Il se sent humilié et stupide. Mais il n'a pas le temps d'essayer de comprendre qu'un gars aux cheveux gris apparaît pour dire qu'ils partent, et il trouve encore que la meilleure chose à faire est de se perdre dans la masse.

-Non. S'il te plaît, reste, murmure Tobio quand il essaie de s'esquiver.

Il a l'air aussi perdu que Nico lui-même. Romero se demande s'il va rompre –à ce stade, il n'est plus sûr de rien. Kageyama s'assied sur son lit, recroquevillé sur lui-même comme un enfant, et Nico, désorienté, ne peut que s'asseoir en face et attendre qu'il parle. Et là, Tobio déclare d'une petite voix, sans oser le regarder dans les yeux :

-J'ai une âme sœur.

Nico ne sait pas pourquoi il prend l'information si calmement. Il a déjà envisagé l'idée, bien sûr, évidemment, mais n'a jamais voulu s'attarder dessus, parce que c'était tellement plus agréable de croire que Tobio et lui pourraient rester ensemble pour la vie, sans aucun lien d'aucun côté.

-J'avais honte. Parce qu'elle m'a rejeté. C'était plus simple de dire que je n'en avais pas.

Romero a les oreilles qui bourdonnent. Tobio a menti, mais il n'arrive pas à être en colère, il a trop à assimiler d'un coup. Il y a quelqu'un, dans le monde, qui est destiné à Kageyama. Qui est fait pour être avec lui.

Quelqu'un qui est pour Tobio ce que Joana a été pour lui.

Quelqu'un d'autre.

-Qui ? demande-t-il.

-Tu le connais pas, répond Tobio avec amertume. Il est à l'étranger. Il ne s'est jamais rien passé entre nous, rien du tout. Il m'a rejeté avant même que j'apprenne qu'on était liés.

Et Tobio parle du lien. Du lien qui existe encore en dépit des années de rejet. Du lien qui fait qu'il n'est jamais, jamais seul, même quand il n'est qu'avec Nico –que ce lien le retient, le contrôle, que c'est encore lui qui les a empêchés de s'embrasser tout à l'heure.

Ça a l'air surréaliste.

-Je ne sais pas si je dois m'accrocher ou renoncer pour de bon, chuchote Tobio d'un air bouleversé. Je crois que ce n'est pas un hasard si le lien s'est maintenu...

M'accrocher. Pas un hasard. Nicolas ne peut pas faire autrement que de comprendre que Tobio attend toujours quelque chose de son âme sœur ; et une part subjective de lui déteste comprendre que Kageyama s'accroche encore au lien, alors que sa part rationnelle lui souffle qu'il a raison et que c'est naturel.

Il ne sait pas ce que c'est d'avoir une âme sœur. Il ne sait pas combien c'est précieux. Il ne sait pas qu'il serait bien plus heureux avec elle qu'avec n'importe qui d'autre, y compris moi.

Nico le sait, lui. Il pourrait le lui dire. Et pourtant il n'empêche pas Kageyama de renoncer à tout espoir et de se résoudre à rejeter son âme sœur.

Romero reste éveillé toute la nuit, les yeux rivés au plafond en attendant que son réveil sonne, Tobio lové contre lui. Il a promis d'être patient et d'attendre la fin du lien, mais ça ne change rien au fait qu'il est en train de laisser Tobio perdre son âme sœur, bien que le rejet ne semble pas effectif du tout et que le destin est encore en leur faveur ; pire, qu'il cautionne cela, et même l'encourage.

Ce que je peux être égoïste.

RéfractionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant