Quand on tire le vin, il faut le boire - Partie 2

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Chapitre 5 - Quand on tire le vin, il faut le boire - Partie 2

Saint-Pétersbourg, American Medical Clinic, Russie, 27 mars

« Il était une fois un moujik qui n'avait rien d'autre sur cette terre qu'une vache nommée Marfa et un vieux bouc. »*

Anastasia ouvrit les yeux alors que Yuri commençait la lecture d'un vieux conte de son enfance. Quand il était petit, il demandait à son grand-père de lui raconter cette histoire encore et encore. Il ne s'en était jamais lassé et parfois le vieil homme était contraint de la raconter plusieurs fois avant qu'enfin son petit-fils ne s'endormit. A présent, il la racontait à sa fille. Celle-ci avait semblait-il hérité de sa mère son amour des contes et des histoires. Quand il les racontait, elle ouvrait ses beaux yeux clairs et le fixait. Ce n'était que lorsqu'il se taisait qu'elle plongeait de nouveau au pays des songes. Yuri poursuivit donc sa lecture d'une voix douce et posée. Ils voyageaient tous les deux dans de merveilleuses contrées peuplées d'êtres fabuleux.

« Et encore merci pour la prière ! Sur ce, il tourna les talons et rentra chez lui. » Il se tut un instant avant de regarder affectueusement le nourrisson qui s'était endormi blotti contre sa poitrine. « Et voilà ma princesse. Tu connais toute l'histoire. Et maintenant tu dors. Fais de beaux rêves ma douceur, ma petite fée, mon trésor. Je t'aime, tu sais. Et je suis tellement désolé que tu sois venue si tôt au monde. Je ne voulais pas tu sais. J'aurai aimé te garder bien à l'abri du monde au creux de moi encore un peu. Mais... Papy dit que je ne dois pas me faire de reproches, que ce n'est pas ma faute mais... Comment ne pas m'en vouloir alors que tu as failli mourir mon cœur. Tu es si fragile à cause de moi... Je suis désolé Nastia. Je suis tellement désolé. »

Yuri se tut et regarda la pièce dans laquelle il se trouvait. Autour de lui, il y avait plusieurs couveuses abritant des nourrissons qui comme sa fille avaient vu le jour trop tôt. Des petits êtres fragiles qui luttaient de toutes leurs forces pour gagner le plus difficile des combats. Comme pour éloigner les sombres pensées de sa mère et lui faire comprendre qu'elle se battait et qu'elle était sur la bonne voie pour gagner la bataille, la petite fille s'agita.

« Du calme mon petit cœur. Je suis là. Je prends soin de toi. Et ton papa va bientôt revenir et prendre soin de toi aussi. Il faut que tu grandisses bien pendant qu'il n'est pas là. Tu sais, il est rentré à Almaty chez tes grands-parents. Il doit leur annoncer ta venue. »

Encore une fois Yuri se tut. Parler de l'absence de l'Alpha lui faisait mal. Il supportait mal son absence. Celle-ci l'angoissait profondément. Il ne l'avait pas avoué à Lilia, Yakov et son grand-père mais il redoutait plus que tout qu'Otabek ne changea d'avis et finalement lui prit son enfant. Et, plus que tout, l'apaisante présence de l'Alpha lui manquait. Sa gentillesse, sa sollicitude, sa voix calme et posée, ses phéromones boisées si apaisantes, tout lui manquait. Et, les marques d'affection discrètes mais bien réelles dont il était pour le moment privé créaient un vide dans son cœur. Il voulait croire que malgré tout, Otabek put encore l'aimer. Car, il le savait au fond de son cœur, le jeune homme l'aimait. Il le lui avait dit, murmuré, psalmodié lorsque leurs corps s'unissaient, vibraient, s'épousaient lors de leur nuit d'amour. Et lui, il avait eu peur. Peur d'avoir mal compris, peur de se noyer dans un mirage, peur de son propre cœur qui lui criait pourtant de croire en ces mots aimés et désirés. Mais, Dimitri était venu le voir le lendemain et avait broyé ses espoirs en quelques mots.

Otabek et moi allons-nous lier. Laisse-le tranquille maintenant.

Alors, parce qu'il l'aimait, il s'était effacé. Il avait pris autant de distance qu'il le pouvait sans perdre la raison mais il n'avait pour autant pas pu rompre le contact. Il avait seulement cessé d'être son ami le plus proche, il avait espacé le plus possible ses appels, il lui avait menti et tut son secret. Il avait gardé les lèvres scellées mais quand il avait eu peur de ne pouvoir veiller sur son enfant, quand la mort semblait les appeler, il avait abdiqué et le silence s'en était allé. Il avait lui-même cessé de mentir, de se mentir. Et comme en réponse à ses espoirs les plus fous, il était venu vers lui et avait pardonné. Otabek l'avait pardonné alors pourquoi ne pas se pardonner à lui-même ? Mais n'était-ce pas trop facile ?

Mensonges et secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant