Chapitre 3

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Jerk

Putain, je suis trop con. J'ai encore perdu une occasion de me taire. Je le sais pourtant, que je dois réfléchir avant d'agir, mais rien à faire, je tombe dans le panneau à chaque fois. C'est pas comme si j'ai pas déjà merdé dans le passé : c'est même pour ça que je suis là, dans ce trou paumé au milieu de nulle part, et que je me fais chier à cent sous de l'heure dans un club merdique avec des règles merdiques.

— C'est pas si grave, tu sais, retentit la voix d'Oak à côté de moi. Il est toujours comme ça.

Je détourne la tête de la porte du bar, qui s'est refermée il y a de cela plusieurs minutes, et que je fixe depuis bien trop longtemps pour ne pas avoir l'air d'un débile absolu. Mes yeux se reportent sur le vice-président du club dans lequel j'ai échoué il y a de cela plus d'un mois maintenant, et dans lequel je ne me sens toujours pas chez moi. Trop petit, trop simple, pas assez viril à mon goût. Oh, je ne parle pas des membres en général, ni même des activités : tout est bien comme il faut de ce côté-là, avec du bon trafic illégal comme je les aime. C'est le côté un peu trop sage des mecs qui sont presque tous casés, et, comble du comble, fidèles. J'ai jamais vu une telle tripotée de gosses dans un MC. Le pire, c'est qu'ils appartiennent tous aux dirigeants. Le pire, c'est le président. J'étais persuadé qu'il en avait cinq, mais avec l'arrivée de la belle brune ce soir, apparemment, il en a six ! Impossible que sa femme en soit la mère, elle est bien trop jeune pour ça. Quelque part, ça me rassure un peu sur le gars, qui a dû être bien moins sage dans sa jeunesse que maintenant, avec sa vie bien rangée de père de famille bien sous tous rapports qui me débecte totalement.

— Je savais pas qu'il avait une fille plus âgée, je réponds néanmoins à Oak, espérant d'un coup en savoir plus.

— Anna a vingt-trois ans, m'explique Oak en posant un coude sur le bar. Il avait que vingt ans quand elle est née. Bref, c'est pas la fille de Jeanne, si tu veux tout savoir. Il l'a eue avec une fille de passage, qui est décédée l'année suivante.

— Je m'en doutais un peu, je confirme. Elle semble un peu âgée pour être la fille de sa femme. Pourquoi je l'ai pas encore vue ?

— Elle est avocate à San Francisco, elle revient de temps en temps, pour les fêtes de famille notamment. D'où son arrivée pour Thanksgiving.

— Avocate hein ? je siffle. Impressionnant. Et sinon, elle est... mariée ? célibataire ?

Là, c'est Oak qui émet un sifflement strident en secouant la tête.

— Ouh là, mon gars, je t'arrête tout de suite. N'y pense même pas. Elle est pas mariée, mais intouchable, crois-moi. Oublie tout de suite, surtout quand on sait pourquoi t'es là.

Je me renfrogne, conscient qu'il a parfaitement raison, mais vexé par cette histoire qui me colle comme un chewing-gum sous les boots.

— C'était juste de la curiosité ! je me défends en levant les paumes devant moi.

— Ouais ouais, se marre Oak. Je crois qu'on lui a tous dit ça, un jour, au grand chef, moi le premier.

— C'est-à-dire ?

— J'avais interdiction de toucher à Cécile, quand elle est arrivée, ricane-t-il.

— Et t'as fait quoi ?

— J'ai tenu quelques semaines, rit-il en buvant une gorgée de bière. Et puis j'ai cédé. Trop de tentations juste sous mon nez, que veux-tu ...

— Et t'es encore en vie ? je m'étonne, un sourire amusé aux lèvres. T'as fait comment ?

— Je suis son frangin. Il touche pas à la famille. Au pire, il m'aurait castagné pour me l'être faite, mais j'avais des intentions tout à fait louables vis-à-vis d'elle. La preuve, je l'ai épousée. Mais toi, mon gars, t'es rien d'autre pour lui que le boulet que ton paternel lui a refilé. Et crois-moi, s'il pouvait te dégager vite fait, il le ferait. Ne lui donne pas l'occasion de le faire avec une super bonne raison, comme d'essayer quoi que ce soit avec sa gamine. Surtout si c'est juste pour te vider les couilles, mec. T'en sortirais pas vivant, crois-moi.

Jerk ( Noël à Wild Falls )  [ sous contrat Evidence Editions ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant