Chapitre 1 - Olivia

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            Calée dans mon siège, la tête appuyée contre la vitre du car qui nous ballote à travers la jungle depuis presque deux heures, j'observe avec jalousie le visage abandonné de Paula. Je ne sais comment elle y arrive, mais ma collègue dort depuis que nous avons quitté l'aéroport. Ce n'est certainement pas grâce au confort du carrosse qui nous trimballe, vu comme les ressorts sont en train de me perforer le postérieur à travers la mousse fortement fatiguée, ni à la conduite délicate de notre chauffeur. Clairement aguerri aux trajets sur des routes qui n'en sont pas, il avale les kilomètres sans aucun égard pour nos corps, ni pour nos estomacs.

Il n'est pas exclu que je réveille Paula en lui rendant mon déjeuner sur les genoux.

À travers les carreaux sales et rayés, je tente de distinguer la beauté du paysage, qu'on nous a vendue avant notre départ. Des arbres, des arbres, des arbres. Rien d'autre qu'un mur vert qui défile sous mes yeux. Je ne vois ni plage, ni ciel. Soyons honnête, je ne connais absolument pas la Guyane, mais je serais étonnée si on me disait qu'elle vit du tourisme...

Un énième choc sous les roues du car me fait rebondir violemment sur mon siège, pour le plus grand bonheur de mon fessier. Eh ben, pour le moment, la semaine d'aguerrissement censée me mettre du plomb dans la tête me colle surtout des bleus au cul !

Cette riche idée est l'œuvre de mon patron, persuadé que deux semaines au cœur d'un stage proposé par ce centre de formation de la Légion Étrangère nous remettrait, à mes collègues et moi, les idées en places. Il faut dire que depuis plusieurs mois, l'ambiance est loin d'être au beau fixe parmi l'équipe, et les résultats au journal s'en ressentent. Des sujets moyennement approfondis, des articles se discréditant les uns les autres, et une atmosphère particulièrement tendue. Plusieurs tentatives pour rétablir les liens ont été menées, sans aucun succès.

Cette parenthèse de stage au bout du Monde, c'est notre dernière chance avant restructuration, et à cela, notre rédacteur en chef a ajouté un challenge : revenir avec un document rédactionnel qui tienne la route sur la formation de Légionnaire.

Secouée par les rebondissements du car, qui semble vouloir absolument rouler dans tous les nids de poule qu'il croisera, je laisse promener mon regard sur les sièges devant moi. À quelques rangées, sur la gauche, je bute sur une nuque qui me révulse au plus haut point. Bruno, secrétaire de rédaction, cette ordure qui persécute fièrement Paula depuis que la pauvre a eu le malheur de céder à ses avances, lors de l'une de nos dernières soirées entre collègues il y a trois mois. Ce connard est un pur condensé de machisme, aussi misogyne qu'il est vilain. Merde, Paula avait forcément trop bu pour se taper un fond de panier pareil. Depuis ce petit écart, mon amie fait les frais de remarques et gestes déplacés, de ceux qui, s'il s'agissait de moi, auraient valu plus d'une fois à cette enflure mon poing dans la figure. Mais elle est bien trop douce, bien trop fragile pour oser répliquer, et se contente de subir, espérant naïvement que le temps jouera en sa faveur. Erreur.

Si je n'ai aucune certitude que le fait que ce stage va rétablir les liens de l'équipe, j'espère au moins que Bruno va en chier à fond et redescendre de quelques étages. Je l'imagine avec bonheur cracher ses poumons dans les épreuves d'endurance, ou hurler sa peur et sa faiblesse sur les exercices qui nous demanderont un mental solide. Je sais qu'il est du genre à flancher, et je m'en réjouis d'avance. De mon côté, je ne suis sûre de rien, mais j'ose croire que mes quelques années d'athlétisme quand j'étais ado sauront me préserver d'un échec cuisant.

Le ralentissement du car me tire de mes rêveries. Par la fenêtre, j'aperçois enfin quelques éléments m'indiquant que la fin de ce trajet interminable est peut-être imminente. Comme pour confirmer mon impression, le véhicule s'arrête et libère son trop plein d'air dans un pshitt qui réveille tous les collègues assoupis.

– Mhhhmmm, on est arrivés ? articule Paula encore à moitié endormie.

– Je suppose, oui, réponds-je en fixant les portes qui s'ouvrent.

Sans attendre, un homme en uniforme se hisse dans le car et balaye les sièges d'un regard assassin.

– Tout le monde debout, tout le monde dehors ! rugit-il avec un fort accent russe. Vous avez dix secondes pour débarquer !

Paula saute de son siège, comme la plupart de nos compagnons de voyage, tandis que je réalise où on m'a fait mettre les pieds. Moi qui déteste l'autorité, je crois bien que les quatorze jours qui m'attendent risquent d'être les plus longs de ma vie.

Tous au pied du véhicule, les regards incertains se croisent et s'interrogent, personne ne sachant exactement ce qu'on attend de nous. Quand mes yeux rencontrent ceux de Bruno, je n'hésite pas à lui tendre discrètement mon majeur, consciente du fait que je ne pourrais réitérer cette démonstration d'humeur de sitôt. Que les choses soient claires, si je suis d'accord pour jouer le jeu et faire tout ce qu'on me demandera ici, hors de question que je fasse le moindre cadeau à l'enfoiré qui malmène mon amie.

– Vous vous croyez où, bande de petites merdes ?! vocifère le soldat qui nous a ordonné de descendre. Tous en ligne !

Confus, mes collègues se précipitent pour s'exécuter tandis que je me place tranquillement en bout de rang, aux côtés de Paula. Face à nous, quatre autres soldats nous observent, pieds ancrés dans le sol, bras sagement joints dans le dos et regard impassible.

– La belle vie c'est fini ! reprend le soldat avec son accent à couper au couteau. Vingt pompes pour apprendre à vous mettre en ligne ! EN POSITION !

Comme des moutons, tout le monde coopère. Il n'a pas l'air commode, le slave. Blond, regard polaire, coupe réglementaire de quelques millimètres surmontée du béret vert des Légionnaires, et surtout une carrure à vous exploser le crâne d'un simple coup d'épaule.

– Je suis le Capitaine Vitaïev, aboie-t-il en longeant nos mains posées au sol, ici c'est moi qui dis quand tu peux bouger, parler, manger, dormir ou pisser ! Quand je dis, tu fais de suite, sinon, tu pompes !

Eh ben, le séjour s'annonce glamour... 


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Et voilà mes petits chats, c'est donc parti pour une nouvelle aventure un peu foldingue ! L'expérience d'Olivia s'annonce épique, et j'espère qu'elle vous plaira...

Que pensez-vous de ce premier chapitre ? A quoi vous attendez-vous pour la suite ? 

Je vous dis à très vite, pour rencontrer notre Sergent... 

Bises et belle fin de journée, 

Léana

Boot CampOù les histoires vivent. Découvrez maintenant