Nous venons de rejoindre la rive et foulons enfin la terre ferme, trempés comme des soupes et toujours affublés de notre sac de vingt-cinq kilos, qui doit en peser pas loin du double imbibé de toute cette eau. Les jambes lourdes et l'égo au fond de mes baskets, je me range dans la file qui attend pour déposer son sac dans le coffre du car avant de pouvoir monter s'y installer. C'est sans aucun regret que je balance mon bagage avec ses potes dans le ventre sombre du véhicule qui nous ramènera à la caserne, puis, enfin délestée de ce poids insupportable, je rejoins la seconde file, celle qui me donnera accès à un siège et un peu de repos.
Mais, alors que vient mon tour, une main me saisit par le col et me tire en arrière. Soufflant d'exaspération, de fatigue et de résignation, je laisse cette force gagner sans même lutter. Mon dos rejoint un corps tout aussi trempé que moi, mais dont la chaleur m'enveloppe étrangement.
– Je te laisse récupérer pour l'instant, Petit Machin, souffle-t-il contre mon oreille. Mais ne te crois pas tirée d'affaire. Je te réserve un gage à la hauteur de ton insolence.
Je suis seule à entendre ce timbre rauque, à sentir ce souffle parcourir na nuque, puis cette main prendre position dans le creux de mes reins pour me faire pivoter sèchement, me bloquant contre la paroi du car. Surplombée par cette carrure solide et imposante, je lève les yeux dans ce regard énigmatique, vide de toute émotion, comme si cet homme n'avait aucun passé qui aurait pu lui enseigner l'empathie, la patience ou la pitié. Il me toise avec une intensité qui me brûle jusqu'au fond de mon ventre, plaquant ses deux mains de chaque côté de ma tête en réponse au défi que constitue ce contact visuel. Il cherche à me faire flancher, cela ne fait aucun doute. Pourtant, même si je suis épuisée, même si je ne sens déjà plus mes jambes, et même si je sais que l'enfer m'attend doublement à partir de maintenant, il est hors de question que je baisse les yeux. Sa respiration s'accentue légèrement, il me déteste probablement tout autant que moi et s'agace de mon impertinence. C'est loin d'être le premier, et ce ne sera certainement pas le dernier. En revanche, cette langue qui passe furtivement sur ses lèvres alors qu'il s'apprête à parler me prend par surprise en déclenchant un frissonnement qui me désoriente l'espace d'un instant.
– Tu vas en chier, crois moi... murmure-t-il d'une voix légèrement éraillée dans un rapprochement qui me laisse penser qu'il a parfaitement perçu mon trouble.
T'es bien dans la merde, Millard...
Il claque une main sur la paroi du véhicule, me faisant sursauter, puis me libère en opérant un pas en arrière sans me quitter des yeux. Perdue dans un tumulte sensoriel incompréhensible, je fais demi-tour et grimpe les trois petites marches pour rejoindre mon amie qui me regarde arriver comme si j'avais changé de visage.
– Olivia ? Tu te sens bien ? s'inquiète-t-elle en me faisant une place à ses côtés.
M'affalant sur le siège qui me tend les bras, je hausse des épaules en tordant mes lèvres frigorifiées.
– Je rêve d'une bonne douche, d'un chocolat chaud à la chantilly, de mon canapé et d'un plaid douillet, marmonné-je en fermant les paupières.
– Merci, de m'avoir aidée tout à l'heure, dit-elle en prenant ma main dans les siennes. Tu es une véritable amie.
– Ouais, ben faut croire que ça me porte pas bonheur...
– Je suis tellement désolée que tu aies fini par être toi-même en difficulté, gémit-elle en essayant de réchauffer mes doigts.
– Tu n'y es pour rien, la rassuré-je, et je ne regrette pas de t'avoir aidé. Je regrette seulement qu'on ait foutu les pieds dans ce merdier sans nom, où la vie des gens semble avoir si peu de valeur.
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Boot Camp
RomanceOlivia, 24 ans, au caractère impétueux et à la langue bien pendue, est envoyée avec ses collègues en séminaire de cohésion. Le but ? Recréer un esprit d'équipe et leur remettre les idées en place. Jusqu'ici, tout semble à peu près normal. Mais, l...