Memento Mori

Prologue

Janvier 2001

La chambre était plongée dans une obscurité quasi complète. Malgré l'absence de lune, Robin Dusk distinguait parfaitement les traits de la femme qui dormait à ses côtés. Il adorait ces traits. Rien au monde ne lui était plus précieux, malgré le conflit permanent qui le séparait de Diana. Pourquoi la jeune femme de vingt-huit ans était-elle aussi têtue, aussi effrontée ? Peut-être était-ce justement pour cette raison qu'il ne pouvait se passer d'elle.

Il aurait aimé passer plus de temps à la contempler pendant qu'elle dormait, - le seul moment où la barrière qui les séparait était absente, - mais cette nuit était destinée à autre chose. Minuit approchait. S'il n'agissait pas maintenant, il devrait attendre un mois. Ce qui était impensable au vu du stade de la grossesse de Diana.

Robin se glissa hors du lit comme une ombre. Il s'extirpa de la chambre sans le moindre bruit, sans un mouvement d'air. Lorsqu'il dévala les majestueuses marches de marbre du manoir, il avait déjà enfilé sa tenue noire et toutes ses médailles et ses talismans tintaient en s'entrechoquant sur sa poitrine. Il releva le capuchon de sa cape, enfonça dans sa poche la chandelle de cire noire qu'il avait laissée sur la table et déverrouilla l'imposante porte d'entrée. Une bouffée d'air glaciale s'engouffra aussitôt dans le hall du manoir.

Il marcha dans la pénombre pendant environ un quart d'heure avant que le portail du cimetière de Sherlton se dessine devant lui. Bientôt, Robin s'agenouilla pour déposer la chandelle noire sur un mausolée incrusté de l'inscription RIP TIRESIAS LODGE en lettres d'or. Une flamme apparut sur la chandelle. Robin se redressa, ferma les yeux, huma l'air nocturne et projeta sa conscience dans les alentours du cimetière. Robin se concentra pour se projeter au-delà de la frontière avec l'Autre monde. La frontière avec la mort devint poreuse. Avec un effort mental, Robin fit en sorte que sa voix porte jusque de l'autre côté lorsqu'il appela :

— Tiresias !

Les poils dans sa nuque se hérissèrent. Son sixième sens l'avertissait que quelque chose bougeait de l'autre côté.

— Lodge, remue-toi un peu, je ne vais pas attendre toute la nuit !

Tout à coup, la vision de Robin fut voilée. Des ténèbres opaques tombèrent. Les étoiles elles-mêmes cessèrent de briller, plus la moindre trace de lumière ne demeurait. Le monde avait disparu. Un soupir glacial venu d'outre-tombe s'éleva tout autour de Robin. Puis le voile se leva aussi rapidement qu'il était tombé et une voix résonna dans le cimetière.

Qu'y a-t-il cette fois, Maître ? J'imagine que vous ne me laisserez jamais au repos que je mérite...

— Ton don te prive à jamais du repos éternel, argua froidement Robin.

Exactement comme le vôtre, répliqua effrontément la voix spectrale. Vous devriez être en mesure de me comprendre, très cher Maître.

Robin se braqua. Il serra le poing et un effroyable cri de souffrance résonna aussitôt dans le silence nocturne.

Arrêtez, ne faites pas ça ! Pitié ! C'est bon, c'est bon.

Une forme floue se dessina devant Robin. Les traits d'une forme humaine apparurent petit à petit. Bientôt, un être translucide d'où émanait une lueur bleuâtre se tenait devant lui. L'apparition était vêtue de vêtements à la mode hippie des années 70s et portait une multitude de colliers, bracelets et de bagues new age. D'épais cheveux clairs et bouclés entouraient son visage. Des lunettes rondes aux verres rosés étaient posées sur son nez légèrement aquilin. Les petits yeux clairs derrière étaient rivés avec colère sur Robin sans jamais ciller. L'entité flottait quelques centimètres au-dessus du sol, entourée d'une brume qui brouillait la limite entre son corps et l'environnement.