Épisode 5

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La serveuse, habituée après dix ans de métier à la gestion de ce genre de situation, avait agi avec un calme absolu. Elle avait fait le tour du bar, rouleau de sopalin, t-shirt et chiffon sous le bras. Les avait tendus à Jacob.

- Essuyez le plus gros et retirez vos vêtements. Un t-shirt de l'hôtel, ça sera toujours plus sympa que votre chemise Louis Vomiton... Décalez-vous s'il vous plait.

Jacob s'exécuta sans broncher. Il était pétrifié. Son sang s'était glacé lorsque l'homme avait vomi sur lui. Beaucoup se seraient offusqués de l'odeur, de la situation. Jacob était tétanisé par toute la peine et la douleur que cet homme portait en lui et qu'il venait de déverser sur sa poitrine. Des larmes commençaient à perler sur ses joues. Silencieusement. Il suivit les recommandations de la serveuse qui était en train de placer l'homme en position latérale de sécurité. Il proposa son aide :

- Souhaitez-vous que j'appelle les secours..?
- Non, ça devrait aller. Il me l'a fait trois fois ce mois-ci. Il boit trop vite. Mais il oublie qu'on a beau vouloir noyer son chagrin, s'il remonte à la surface il n'y a rien qu'on puisse faire pour lutter... Allez me chercher des serviettes derrière le bar juste sous l'évier s'il vous plaît. Et humidifiez-les légèrement.

Jacob passa de l'autre côté du bar et fit exactement ce que la jeune femme lui avait demandé. Il revint auprès d'elle et de l'homme qui était à demi-conscient. La barmaid plaça l'éponge humide derrière la nuque de l'homme. Ce qui ne manqua pas de le faire grogner. La jeune femme, voyant l'air anxieux de Jacob, l'interrogea pour détourner son attention :

- Votre prénom, c'est..?
- Jacob... Et vous ?
- Ally.
- Vous... Vous voulez en faire quoi ? Je veux dire, vous êtes sûre qu'il ne faudrait pas appeler les secours ?

L'homme grogna à nouveau.

- Vous voyez... Il est suffisamment conscient pour nous aboyer dessus !
- Effectivement...
- Bon, je vais appeler la sécurité. Ils vont l'aider à remonter dans sa chambre.
- Quelle tristesse... Vous savez qui s'occupe de sa petite fille ?
- Ah, ça, je n'en ai aucune idée. Je travaille au bar de nuit, je ne le vois que le soir de temps en temps. Il est, comme on dit, pas très causant. Il a déjà baragouiné deux, trois trucs sur une histoire de séparation. Sûrement un type qui traverse un divorce compliqué…
- Hum...

Ally s'absenta un court instant. Juste le temps d'appeler Dany et Neal qui étaient affectés à la sécurité de l'hôtel la nuit. Les deux vigiles se présentèrent quelques minutes plus tard. L'homme était toujours à moitié amorphe, somnolant.

Dany, un homme trapu, le crâne dégarni, le peu de cheveux qu'il lui restait déjà bien grisonnant, serra la main d'Ally.

- Alors, moustique, Mister Silver fait encore des siennes..?
- Ça faisait longtemps !
- Parle pour toi ! Une femme est passée le voir la semaine dernière. Depuis on l'a récupéré deux fois à moitié inconscient devant la porte de sa chambre, en pleine journée !

Neal, son collègue qui était tant son opposé, que l’on aurait dit un de ces duos comiques à la Laurel et Hardy, s'avança l'air triste, en ajoutant :

- Pauvre homme. Il me fait peine.
- Allez, mon vieux. On va remonter sa peine au huitième !

Jacob les interrompit, toujours soucieux du sort de Mathilda.

- Excusez-moi, sa petite, elle est avec lui ?
- Quelle petite ?
- Sa fille, Mathilda !

Dany et Neal le regardèrent fixement, tentant de comprendre où Jacob voulait en venir. Il insista :

- Vous n'avez jamais vu sa fille ?
- Non, Monsieur. Désolé.

Jacob prit la veste de ce Monsieur Silver et son attaché case posé au pied de son tabouret et profita de l'occasion :

MathildaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant