Episode 3

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Une lumière blanche lui brûlait les rétines. Il ouvrit les yeux. Les referma. Les ouvrit de nouveau en les plissant difficilement.

- Jacob..? Jacob ? Vous m'entendez ?
- Hein..? Mathilda..? Où est...
- Il est toujours agité...

Jacob tourna lentement la tête vers la voix qui venait visiblement de s'inquiéter de ses propos. Il aperçut la silhouette d'une femme qui échangeait avec un homme en chuchotant. Une voix plus familière les interrompit :

- Non, il ne délire pas Docteur ! Il cherchait cette petite avant de se faire renverser !

La docteure qui échangeait avec un infirmier se tourna vers Gloria qui venait de l'interpeller :

- C'est vous qui l'avait accompagné, c'est bien cela ?
- Absolument. Il était avec nous quand c'est arrivé. Il cherchait une petite qu'il a vu ce matin. Il l'aurait aperçue de l'autre côté et il est sorti et a traversé sans même regarder.
- Hum... Nous allons le prendre en charge...

La femme demanda à un interne de lancer différents examens et se tourna de nouveau vers Gloria :

- La voiture roulait vite ?
- Non, pas vraiment. C'est une rue souvent bondée. Il est difficile d'y circuler à plus de vingt ou trente kilomètres heure. Je crois qu'il est aussi physiquement et psychologiquement...A bout.
- Très bien. Merci pour ces informations.
- Est-ce qu'on peut le voir ?
- Laissez-lui reprendre ses esprits. Nous allons lui faire passer quelques examens, si tout va bien, alors vous pourrez le voir.

Gloria et Amira patientèrent, tournant en rond comme des lions en cage dans le couloir de l'hôpital. Faisant des aller-retours entre la machine à café, la boutique en bas. Après plus d'une heure d'attente, la femme qui les avait accueillies au service des Urgences revint vers elle :

- Bon, il n'y a aucun signe de trauma. Quelques éraflures mais rien de cassé. Il semble par contre effectivement fébrile et malnutri. Nous allons le garder pour la nuit... Nous avons des fonds spécifiques pour prendre en charge les personnes sans domicile fixe. Cela lui permettra de se reposer et de passer au moins une nuit au chaud. Je vous laisse aller le voir quelques minutes si vous le souhaitez. Suivez-moi, je vais vous conduire à lui.

Elle remonta le couloir, accompagna les deux femmes près de Jacob qui somnolait encore :

Gloria et Amira s'approchèrent à pas feutrés. Amira posa sa main délicatement sur celle de Jacob. Elle lui demanda doucement :

- Jacob, comment vous sentez-vous ?
- Stupide... J'ai vu la petite, Amira... Elle suivait un homme. Je voulais juste m'assurer qu'elle allait bien...
- C'est tout à votre honneur. Reposez-vous. Nous allons rentrer à l'hôtel et nous assurer que cette petite est bien en sécurité.

Gloria tendit un sac à Jacob.

- Voici pour vous. Nous sommes descendues au magasin en bas. Il y a des vêtements propres, de quoi faire votre toilette, un rasoir. Enfin, tout ce qu'il vous faut.
- Gloria, c'est très gentil mais je ne peux pas accepter. Vous avez suffisamment perdu votre temps et votre énergie avec moi.
- Tendre la main à un homme qui malgré sa situation difficile veille à s'assurer de la sécurité d'une petite qu'il a croisée quelques minutes plus tôt, c'est tout sauf une perte de temps mon ami. Allez, reposez-vous. Nous reviendrons demain.

Jacob afficha un sourire discret. Au long de ces deux années passées dans la rue, il avait passé la première à ne pas oser quémander. Il se résolvait à demander quelques pièces lorsque trouver à manger devenait trop compliqué. Jamais il n'avait eu plus qu'un sourire gêné. Et ce jour... Il y avait Mathilda. Cette course effrénée pour la retrouver. Comme une lumière au bout du tunnel. Une raison de se relever. Puis Gloria et Amira. Leur douceur, leur bienveillance sans une teinte de pitié. Elles reviendraient demain. Depuis quand n'avait-il pas eu de rendez-vous ? Depuis quand n'avait-il pas été attendu ? Le visage d'Aaron traversa son esprit. Aaron, mon amour... Te souviens-tu de nos premiers rendez-vous ? Te souviens-tu quand je venais t'attendre après tes gardes dans ton service, que j'amenais gâteaux, chocolats et pâtisseries pour tous et que tes collègues disaient en riant « viens le chercher tous les jours, Jacob, s'il te plaît ! ». Te souviens-tu de ces jours heureux dans la pénombre et la solitude de ta cellule..? Ou bien chasses-tu comme moi ces souvenirs d'une vie qui ne semble n'avoir été qu'un songe, un mirage, un fantasme.
Il laissa aller ces images pour ne pas que sa plaie vienne le chatouiller. Il remercia Gloria et Amira. La nuit passa trop lentement. Il pensait à cette petite. Se demandait si cet homme qu'elle suivait était vraiment son père. Imaginait le pire. Chassait cette idée de son esprit en se disant que si quelque chose lui était arrivé, il y aurait eu une alerte à la télévision. Il avait regardé les chaînes locales d'information et rien. Il s'était assoupi. Le médecin était passé le matin. Il lui avait confirmé qu'il pourrait quitter l'hôpital en début d'après-midi. Il fut étonné lorsque Gloria et Amira étaient venues le chercher. Il doutait encore des gens. Ils savaient le pire d'eux alors quand le meilleur arrivait, c'était difficile pour lui de ne pas se méfier. Et pourtant... Il avait pris une bonne douche. Dans les sanitaires impersonnels et blancs de l'hôpital. Mais la chaleur de l'eau, le parfum du savon qui avait effacé la crasse sur sa peau, la serviette douce et propre que l'infirmier lui avait gentiment apporté, avaient suffi à lui offrir quelques minutes d'humanité. Il avait mis les habits neufs que Gloria et Amira lui avaient achetés. Elles l'avaient emmené chez le coiffeur. Qui avait taillé, coupé, rasé. Les cheveux, les poils étaient tombés au sol. Emportant avec eux un peu du poids qu'il traînait. Son reflet dans le miroir l'avait déstabilisé. Ce type qui se tenait face à lui semblait étranger. Il n'avait plus rien à voir avec cet homme doux, naïf au sourire franc et léger qui avait passé sa première nuit dehors il y a de cela une éternité. Dans la rue, le temps se suspend, s'allonge, s'étire. Les nuits sont infinies. Et quand le jour se lève, le soleil semble ne jamais vouloir se coucher. Il avait oublié sous la barbe, sous la tristesse, ses fossettes qui se dessinaient à chaque fois qu'il souriait. Il avait oublié combien ses yeux avaient l'air encore plus clair lorsqu'il était rasé de près. Il avait oublié combien il était jeune. La rue, ça vous use et ça vous fait vieillir. Et deux ans dans les rues new-yorkaises, c'était une éternité. Gloria lui avait dit qu'il avait une chambre désormais juste à côté de la leur. Qu'elle allait l'aider. Qu'elle allait le remettre sur les rails si bien sûr il le souhaitait. Tu crois que je suis prêt, Aaron avait-il pensé. Tu crois que c'est maintenant que je dois renaître, moi qui pensais que l'on me retrouverait un matin, froid, esseulé sur ce bout de trottoir. Moi qui n'étais plus que ce clochard que personne ne regardait et dont les gens auraient dit « pauvre gars, il est mort de froid, c'est triste » sans vraiment le penser. Et qui seraient retournés à leur vie, à leur monde qui tourne trop vite et qui n'admet pas de s'arrêter pour des gens comme moi. Gloria et Amira l'avaient fait. Alors, il fallait essayer.

MathildaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant