CHAPITRE I - Frère

6.7K 172 341
                                    

La pluie tombait en rideaux fins, glissant en silence sur la ville endormie de Tokyo, ou les lumières des lampadaires projetaient des halos pâles qui se fondaient dans l'obscurité. Le ciel d'un gris d'ardoise se mêlait aux reflets des flaques d'eau, tandis que les passants s'empressaient de rentrer, protégés sous leurs parapluies sombres. Quelques taxis passaient aussi, leurs phares perçant la brume de la pluie, et le vrombissement de leurs moteurs semblait être le seul bruit dans cette rue étouffée par le silence.

Sous le porche d'un immeuble de bureaux, Mei Ukai restait immobile, fixant le panneau "Fermé Définitivement" affiché sur la porte vitrée. Elle ne sentait même plus le froid qui engourdissait ses doigts, ni les gouttes qui glissaient le long de son visage. Son esprit, embrouillé, se perdait dans le souvenir de ce que cet endroit avait été pour elle. Depuis trois ans, elle était ici chez elle. Cette agence, spécialisée dans l'organisation d'événements sportifs, l'avait vue se donner corps et âme à sa passion pour le sport, qu'elle organisait, vivait, et ressentait avec une intensité on ne peut plus rare.

Elle baissa les yeux, regardant ses chaussures trempées par la pluie, le cuir noir luisant sous la lumière de l'enseigne qui clignotait faiblement au dessus de sa tête. Mei était une jeune femme au visage fin et déterminé, souvent marqué par un sourire résolu. Mais ce soir, ce sourire avait disparu, laissant place à une expression perdue. Son regard sombre et profond reflétait la fatigue accumulée de ces dernières semaines, un épuisement qu'elle n'avait jamais ressenti aussi intensément. Ses cheveux bruns clairs trempés par l'humidité, collaient à ses tempes et encadraient son visage ovale, accentuant la pâleur de sa peau marquée par de longues nuits sans sommeil.

Le vent siffla dans les rues désertes maintenant, secouant l'enseigne comme un rappel cruel que tout cela appartenait désormais au passé. Elle leva la tête, ses yeux se posant sur le logo de l'agence, ce fameux qu'elle avait vu tant de fois en arrivant ici chaque matin. La pluie, elle, qui coulait le long de la vitre déformaient les lettres et semblait en effacer les contours, comme si même l'eau cherchait à supprimer ce chapitre de sa vie.

Son cœur se serra, et elle sentit une boule se former dans sa gorge. Ce travail, ce n'était pas qu'un simple emploi pour elle ; c'était une vocation, une passion qui avait donné un sens à ses journées. Elle se rappelait les longues heures passées à organiser des compétitions, à soutenir de jeunes sportifs, à sentir l'adrénaline des matchs et la joie des victoires. Tout cela faisait parte de son identité, et maintenant, n'existait plus. Elle était seule, sans repères, sans avenir immédiat. Elle passa la main sur son visage, essuyant les gouttes qui perlaient sur sa peau, se demandant ou elle pourrait aller, à qui pouvait elle vraiment se confier.

Elle soupira, et un frisson la parcourut, plus lié à l'angoisse qu'à la fraicheur de la pluie. Elle savait qu'elle n'avait plus les moyens de vivre ici. L'appartement qu'elle louait, son cocon, ne pouvait plus être financé sans ce salaire qui venait de s'envoler. Elle n'avait plus de famille proche dans cette ville, et les amis qu'elle avait, tous absorbés par leurs propres vies, seraient incapables de l'aider pour ce qu'elle avait perdu.

Elle sortit alors son téléphone, ses doigts tremblants d'incertitude. Les gouttes de pluie éclaboussèrent l'écran, brouillant la lumière bleutée qui illuminait son visage. Elle parcourut le répertoire, et son pouce s'arrêta net sur un nom, un nom familier qui, malgré les années, restait une ancre dans sa vie. Keishin. Son frère.

L'idée de l'appeler, de lui demander de l'aide, lui parut d'abord absurde, presque douloureuse. Cela faisait deux ans qu'ils ne s'étaient pas vus. Chacun absorbé par ses obligations, ils avaient pris des chemins différents sans vraiment se préoccuper de se retrouver. Dans son souvenir le plus proche, Keishin avait repris la boutique de leur grand-père à Miyagi, la petite échoppe de quartier, la Sakanoshita, du nom de leur mère disparue. Mais à cet instant précis, elle savait que son frère était son unique secours. Bien qu'une partie d'elle se rebellait, refusant de dépendre de lui, elle n'avait plus le choix.

" Rejette moi autant que tu voudras Mei. Tu le sais bien ; on ne choisit jamais sa famille... "

Elle prit une profonde inspiration et appuya sur le bouton d'appel, ses mains encore tremblantes. La sonnerie résonna plusieurs fois, chaque seconde peut être durant lesquelles elle regretta, avant que la voix grave de son frère ainé ne réponde, résonnant familièrement malgré le temps écoulé depuis leur dernier échange.

" Allo ? "

Le simple ton de sa voix lui fit monter les larmes aux yeux, et elle du se mordre la lèvre pour ne pas laisser sa voix trembler.

" Salut, Keishin... C'est moi, Mei... "

Elle entendit se redresser de l'autre coté du fil, comme surpris par cet appel inattendu. Il y eut un long silence, pesant et dense, puis il reprit, avec un ton légèrement adouci : " Mei... ça fait longtemps..."

Elle hocha la tête en silence bien qu'il ne puisse pas la voir, sentant la pluie ruisseler sur sa nuque trempant son manteau fin et froid, elle s'abrita sous le petit auvent de bureau. " Oui... Euh.. Ecoute, j'ai quelque chose à te dire. " Elle hésita un moment, sentant l'impatience de son frère venir, elle ajouta par la suite, " Mon entreprise sur Tokyo a fermé. Ils ont fait faillite. " Après un autre blanc durant lequel elle fixa le nom de son frère sur son écran sans rien dire, cherchant ses mots, elle murmura : " Je n'ai plus rien, Keishin. "

Sa confession resta suspendue dans l'air, comme un aveu d'échec. Un silence pesa quelques secondes de plus, comme si son frère essayait d'encaisser cette nouvelle surprenante. Puis, elle entendit un léger raclement, le bruit d'un objet posé sur un comptoir. Il se trouvait surement dans la boutique à cette heure-ci, au milieu des étagères chargées de produits frais.

Sa voix, lorsqu'il reprit, était calme, empreinte d'une douceur inattendue " Alors, tu vas rentrer à Miyagi ? "

Elle sentit de nouveau son cœur se serrer, partagée entre le honte de devoir revenir les mains vides et le soulagement de savoir qu'il l'accueillait sans poser de questions. " Keishin... Tu n'es pas obligé de dire oui parce que je suis ta-"

" La boutique est grande. Y'a d'la place pour toi. " un léger soupir se fit entendre, " Reviens quand tu veux, Mei. "

Et ce fut tout. Quelques mots simples sans effusion, sans emphase. Mais c'était tout ce dont elle avait besoin pour sentir un poids se lever de ses épaules. Elle esquissa un sourire, chuchotant un remerciement inaudible. Elle raccrocha, le cœur un peu plus léger, malgré la pluie et le froid.

" Mais aucun ami ne sera l'égal de ton frère... "


***

Quelques jours plus tard, à Miyagi.

Le voyage jusqu'à Miyagi fut long, et elle passa la majeure partie du trajet à observer les paysages défiler sous la pluie battante du centre-ville. Le bus serpenta à travers les montagnes, collines verdoyantes se fondant dans la brume du matin, tandis que ses pensées dérivaient vers tout ces souvenirs qu'elle avait laissé derrière elle. Cet endroit, regorgeait de ses mémoires d'enfance, bien qu'elle tenta de chasser les doutes et regrets concernant ce qu'elle avait raté.

Lorsqu'elle arriva enfin à Miyagi, le ciel était gris clair, et l'air avait ce parfum familier de terre humide et de feuilles. Mei prit une grande inspiration, ajustant le col de son manteau, et se dirigea vers la petite boutique ou son frère devait l'attendre. Le Sakanoshita, leur refuge familial.

L'échoppe se dressait modestement, avec son enseigne en bois patinée par les années. A travers la vitrine, elle aperçut les étagères chargées de légumes frais et de produits locaux soigneusement disposés, un tableau inchangé depuis son enfance. En entrant, elle fit tinter la clochette suspendue au dessus, un son qui résonna dans son cœur avec une chaleur spontanée.

Keishin se trouvait derrière le comptoir, vêtu de son tablier habituel. Ses cheveux blonds en bataille ressemblant aux siens, et son regard sombre lui donnèrent une allure bourrue. Pourtant, dès qu'il leva les yeux et croisa son regard, elle sentit quelque chose de doux et de rassurant dans sa présence.

Ils restèrent ainsi, silencieux un moment, se contentant de se fixer, comme pour combler les années de distance perdues. Puis, Keishin esquissa un sourire discret, le même que dans ses souvenirs, presque imperceptible, mais suffisamment sincère pour qu'elle comprenne qu'elle était enfin rentrée chez elle.

Counters Set To Zero - Haikyuū!!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant