Chapitre 4 : Première rencontre

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Chapitre 4 : Première rencontre

356 : année de la Lune blanche ; Montagne d'Ao

La nuit était claire et sans nuage. Un jeune garçon aux courts cheveux de jais venait de se réveiller en sursaut. La lumière de la lune se refléta dans ses yeux, et deux diamants verts brillèrent dans la nuit. Mais les émeraudes de ses yeux, dans le passé si éclatantes, étaient à présent teintées de tristesse.

Harry, comme souvent, s'était réveillé à cause d'un rêve dont il ne se souvenait plus. D'aussi loin qu'il se rappelait, Harry n'avait jamais bien dormi.

Il n'allait pas pleurer. Il l'avait déjà trop fait.

Harry sauta de son grand lit. Il prit une cape à capuche bien chaude, sa couverture bleue, un vieux couteau qu'il cachait sous son matelas et sortit secrètement par la fenêtre. Quelle chance que sa chambre ne soit pas à l'étage. Sa grand-mère et ses sœurs étaient décidément trop naïves si elles pensaient qu'il n'allait pas en profiter pour s'enfuir de la grande demeure sombre.

Alors que la pleine lune guidait ses pas, il s'enfonça de plus en plus dans la forêt. Il connaissait les environs par cœur, évitant chaque racine, le pied sûr même dans les montées escarpées. Ses mouvements étaient aussi silencieux que ceux d'un chasseur. Pas une brindille ne craqua sous son poids.

Au loin il entendait le bruit du ruisseau qui passait près du village. La saison des pluies venait à peine de se terminer et le cours d'eau était sorti de son lit. Il formait maintenant une rivière qui traversait toute la montagne.

Une rivière dont la vie ne dure qu'une nuit avant de renaître l'année suivante, songea Harry. C'était comme le cycle de la vie.

Il avait passé tout son temps à explorer les alentours. D'abord avec ses sœurs, puis tout seul quand son père lui avait interdit de leur parler. Heureusement pour eux, les gens du village n'osaient pas s'aventurer plus loin que le puits à l'orée de la forêt. Ils étaient trop effrayés. Harry avait entendu leurs bavardages. Les adultes parlaient de bêtes mangeuses d'homme, de monstres, de démons.

Bien sûr que la montagne pouvait s'avérer dangereuse. Il ne fallait jamais la sous-estimer et la prendre pour acquise. Si l'on s'approchait des tanières, on était sûr d'être blessé. Même lui n'était pas certain de pouvoir calmer des mères sangliers en furie.

Les animaux savent respecter notre territoire, lui avait dit Ginny, son amie la plus sage. Alors il faut respecter le leur.

Mais de là à les considérer comme des monstres mangeurs d'homme... Quelle idée farfelue ! Et puis, tout le monde savait que les démons ne venaient jamais jusqu'ici.

Il grimpa par-dessus le vieil arbre qui cachait l'entrée de son abri puis se laissa glisser à l'intérieur. La grotte qu'il avait découverte avec Ron, son meilleur ami, était devenue sa deuxième maison. Il y passait toutes ses journées et parfois ses nuits. Il se sentait bien ici, au milieu des êtres de la forêt. Protégé, et enfin lui-même.

Alors qu'il atterrissait dans son antre, il comprit que quelque chose n'allait pas. L'air était lourd, la terre était dérangée.

Un grognement sourd le fit trébucher et rater son atterrissage, toutes ses affaires s'écrasèrent par terre. Mais il se releva très vite, s'empara de son couteau rouillé et le pointa vers la chose.

Là, au fond de sa petite cachette, gisait un énorme animal à la fourrure d'argent. Ses yeux gris étaient braqués sur lui et ses babines étaient retroussées. La dentition aiguisée du monstre le fit frissonner.

Ils s'affrontèrent du regard un court instant puis la bête ferma très vite les yeux pour se rendormir.

Harry, tétanisé, remarqua enfin les taches de sang qui parsemaient le sol, de l'entrée jusqu'au corps de la bête.

Reprenant petit à petit ses esprits et voyant que la bête à demi-morte ne souhaitait pas l'attaquer, il lâcha précipitamment son arme et s'approcha de celle-ci. Une main devant lui, en signe de paix, il priait pour que son pouvoir apaisant ne lui fasse pas faux bond. La lumière de la lune perça par un interstice de l'arbre et fit briller le pelage gris du monstre. Étrangement, c'est ce qui donna à Harry la confiance de poser une main sur son flanc.

Il est si beau...

Un léger grognement de douleur s'échappa de la gorge de la bête lorsqu'Harry effleura la blessure.

Sans réfléchir, le garçon attrapa son couteau et s'entailla la paume. À l'odeur de sa chair ouverte, le loup releva la tête, une lueur dangereuse dans le regard. Harry ne sembla pas la voir car il tendait déjà la main vers ses crocs.

Le loup aurait pu lui dévorer le bras entier mais il ferma à nouveau les yeux pour lécher doucement ce que lui proposait le garçon.

Petit à petit, le pouvoir du sang d'Harry sembla faire effet. Les blessures du loup ne guérirent pas instantanément, mais le saignement s'était arrêté et sa respiration s'était calmée.

- Là... Là... murmurait Harry. Plus rien ne te fera de mal, tout va bien.

Le loup posa sa tête sur ses pattes et ferma les yeux.

Harry avait partagé son sang, sans peur, ni remord. On lui avait toujours répété de ne jamais utiliser son pouvoir. Mais son esprit ne voulait plus obéir, sa tristesse et son mal-être avait inhibé tout instinct de survie. Il avait agi sans hésiter. Le loup aurait pu le dévorer.

Mais il est si blessé... et son pelage est si doux...

La fatigue le prit de court, comme à chaque fois qu'il utilisait son sang. Bercé par la respiration lourde du monstre, Harry tomba peu à peu dans le sommeil, à même le sol, sur une couche d'herbe sèche.

_ _ _ _ 

Une intense sensation de bien-être parcourut le corps de Draco lorsqu'il sentit les gouttes du sang de l'enfant se mélanger à son organisme, et la douleur reflua petit à petit.

Le courant l'avait porté très loin du territoire des détraqueurs...Très loin de tout d'ailleurs. Il avait survécu à la chute, avait tenté tant bien que mal de garder la tête hors de l'eau pour finalement trouver un tronc d'arbre auquel s'accrocher. Puis en atteignant la rive, il s'était petit à petit hissé jusqu'à l'abri le plus proche. Il était tombé par hasard dans cette grotte aménagée. Se souciant peu de l'avis des éventuels propriétaires - il les aurait dévorés si ceux-ci avaient essayé de le chasser, il s'était laissé tomber sur le matelas bleu et doux au fond de la grotte.

La douleur le tint éveillé longtemps, son corps voulait mourir mais son esprit se battait pour ne pas s'éteindre. Qui aurait cru qu'un enfant allait apparaître à l'entrée de sa nouvelle résidence ? Et aussi tard dans la nuit ? Et qui aurait pensé qu'il l'aurait sauvé ?

Il ne savait pas où il était, mais il savait ce qu'était le jeune garçon : un humain. Même un de ces humains spéciaux avec lesquels les démons taillaient les pierres de sang. Un mage du sang. Et celui-là sentait si fort et si bon. S'il le tuait et mangeait sa chair, il était sûr de pouvoir guérir instantanément de ses blessures. Et il s'était endormi juste là, près de lui, sans se soucier de rien... S'il n'était pas si blessé, il l'aurait déjà dévoré.

Le courage de l'enfant humain - ou son inconscience - réveilla quelque chose longtemps enfoui dans le cœur froid de Draco.

Pour ce soir seulement, il acceptait de le laisser vivre.

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