Savoir-Faire

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                Sur les murs en bois sombre sont accrochés d'autres masques grimaçants. La lumière est tamisée, donnant une ambiance intimiste à la pièce. Un canapé rouge se trouve dans un coin, sur lequel un plaid coloré a été abandonné. Le chef rit en le repliant et s'excuse du désordre. Apparemment, il passe souvent ses nuits ici. Sur le bureau, des tas de croquis, de recettes et de schémas annotés sont éparpillés. Jawara les ramasse distraitement, puis, posant le bol de chocolat sur le bureau, il m'invite à m'asseoir face à lui. 

                Le cuir du fauteuil crisse lorsque je m'assieds et sa chaise couine lorsqu'il se tourne pour me regarder. D'un signe de la tête, il m'invite à goûter une praline. La coque est éclatante et elle craque lorsque je la fourre dans ma bouche. Une onctueuse crème à la noix de coco s'écoule alors sur ma langue et coule dans ma gorge. Des petits morceaux de coco râpée apparaissent au fur et à mesure que la ganache fond. C'est un pur plaisir et je la savoure de longues minutes, les yeux fermés.

                 Le chef tousse discrètement pour me ramener sur terre. Saisissant mon calepin, je sors la liste des questions à lui poser que ma patronne a préparé. Jawara me répond avec sincérité, se grattant le sourcil pendant qu'il réfléchit. Lorsque je lui demande quel sera son prochain projet, il me sourit malicieusement. Puis, posant un doigt sur sa bouche, il me répond que c'est un secret. Il appuie sa réponse d'un clin d'œil. 

                Lorsque je tourne la dernière page du calepin, je remarque une dernière question griffonnée par ma boss. Je rougis aussitôt. Sur le papier, il est écrit : 

- « Le chef Jawara est un excellent parti et nos lectrices aimeraient connaître sa vie amoureuse ! Est-il célibataire ? Trouve la réponse et tu auras une promotion ! ;-) » 

               C'est une des particularités de Samantha, la rédactrice en chef de l'Écho des Saveurs. Elle est un peu excentrique mais elle tient toujours sa parole. Me concentrant sur cette fameuse promotion, je me tourne vers le chef pour lui poser cette ultime question. Il tourne sur sa chaise pour me faire face, plongeant ses yeux chocolat dans les miens. 

- « C'est une question personnelle, Mademoiselle Guérin, ou sommes-nous toujours en interview ? » 

              Surprise et intimidée, je balbutie une réponse incompréhensible. 

                J'ai l'impression que l'ambiance a changé entre nous. Il y a comme de l'électricité dans l'air et il me semble que le temps a désormais la consistance d'un épais sirop qui s'écoule très lentement. Jawara pose ses mains sur le bureau et croise lentement les doigts. Son regard se fait plus insistant et j'ai de plus en plus chaud. Au moment où il se lève de sa chaise et contourne le bureau, une espèce de cloche retentit et des cris de joie s'élèvent du sous-sol. La fin de la journée de travail des employés. Ouf, sauvée par le gong ! 

                Reprenant mes esprits, je sors mon appareil photo. Nous allons enfin pouvoir prendre les clichés nécessaires pour l'article. Le chef me sourit lorsque je lui demande de se rasseoir à son bureau pour la photo. Je lui demande de faire comme s'il réfléchissait intensément à une nouvelle recette. S'exécutant, il pose les pieds sur le meuble, renverse sa chaise en arrière et, posant un stylo sur sa lèvre supérieure, il fait une moue grotesque qui le coince sous son nez, tandis qu'il fixe le plafond. Je ris mais je dois bien avouer qu'avec la luminosité, le rendu final est parfait. Nous prenons encore quelques clichés sérieux, puis nous nous dirigeons vers l'atelier. Au passage, je photographie les appétissants rayonnages de chocolat. De quoi faire saliver tous nos lecteurs fins gourmets. 

              Jawara me conduit à travers les couloirs désormais déserts jusqu'à la première salle remplie de plans de travail en marbre et en inox. Il me demande quels sont les clichés que j'aimerais prendre. Je lui propose de nous montrer les étapes pour cuire ses fameux pains au chocolat poivré. Tandis qu'il s'exécute, je photographie le moindre de ses gestes. Son savoir-faire est parfait et le chef est incroyablement photogénique. Il affiche un air concentré durant toute la préparation, ce qui lui donne un air séduisant. Les clichés sont fabuleux. Que ce soit lorsqu'il saupoudre de farine son plan de travail, faisant flotter dans l'air un nuage de poudreuse, ou bien lorsqu'il boule habilement les pâtons dans le creux de ses grandes mains.

                Une pincée de poivre de Guinée pour terminer et j'ai bouclé l'article. Je ne peux m'empêcher de le complimenter. Aussitôt, le chef me demande s'il peut voir les photos. Lorsque je lui tends l'appareil, il s'approche si près de moi, que je sens la chaleur de son corps. Une odeur délicieuse de chocolat et de douceurs sucrées s'empare de moi, lorsqu'il se penche pendant que je fais défiler les photos. Je sens mon cœur battre la chamade, tandis que Jawara s'extasie sur la qualité des clichés. Lorsque je range l'appareil, je sens la présence du chef contre mon flanc. Revoici cette étrange ambiance. 

               Alors que je m'apprête à le remercier et à prendre congé, l'homme se tourne vers moi. Il effleure ma joue de son doigt, tandis qu'il murmure : 

- « Il me semble qu'il nous reste encore une dernière question à laquelle je n'ai pas encore répondu... » 

               Il se rapproche et l'odeur de chocolat se fait plus entêtante. Tandis qu'il me tend ses lèvres, je bredouille : 

- « Chef, je ne... » 

                Il m'interrompt aussitôt, posant sa bouche sur la mienne. Après son baiser, il chuchote : 

- « Appelez-moi M'Tici, s'il vous plaît, Héloïse... »

               M'Tici se penche à nouveau. Les notes sucrées de chocolat et de pâtisseries se mélangent, tandis que sa langue se faufile entre mes lèvres. Le chef embrasse divinement. J'ai l'impression d'être cramoisie. Il me soulève par les hanches pour me poser sur le marbre. Il me sourit, puis m'embrasse à nouveau. Lentement, il déboutonne mon chemisier, posant ses lèvres sur mon cou, puis sur le haut de ma poitrine. Trempant deux doigts dans un bol de chocolat oublié par un apprenti peu consciencieux, il les passe délicatement sur mon torse. Il se penche alors pour le goûter sur ma peau. Ses baisers me donnent des frissons.

                Enhardie, je saisis sa main et porte ses doigts à mes lèvres. M'Tici montre les dents, poussant un ronronnement de plaisir. Puis, sans crier gare, il me saisit et me renverse dans ses bras pour me porter comme une demoiselle en détresse. Ses mains sont brûlantes sous mes cuisses et contre mon dos. Sans me quitter des yeux et avec une facilité déconcertante, il refait le chemin en sens inverse en direction de son bureau, ne me déposant que pour me voler un baiser, en me plaquant langoureusement contre l'énorme porte du congélateur. Je sens à la fois la fraîcheur de la porte de métal dans mon dos et la chaleur du corps du chef pâtissier. Tandis que ses lèvres chocolat croquent ma bouche, ses bras musculeux m'étreignent délicatement. Je saisis sa nuque d'une main, puis je mordille son cou. Des dents blanches apparaissent entre ses lèvres charnues.

Le Carré de ChocolatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant