Stockholm, Suède, 10 avril 1940.
Un vent froid soufflait sur les joues de Berwald Oxenstierna, pourtant le géant blond restait de marbre, fixant de derrière les verres sales de ses lunettes la mer grise qui s'étendait au delà du port. Cela faisait des heures que l'homme attendait, droit, planté comme un poteau au bord de la jetée. Un des employé de la compagnie était déjà venu à deux reprises lui proposer de venir attendre au chaud dans le petit immeuble de bureaux que possédait la Kohler Compagny non loin du port. Berwald avait refusé d'un rapide geste de la tête. Pas un son n'était sorti d'entre ses fines lèvres gelées. L'employé avait fini par renoncer.
Berwald ne parlait plus. Il n'avait jamais été très bavard, mais depuis plusieurs semaines il était enfoncé dans un mutisme de glace. Aucun de ses employés ne s'était risqué à lui demander ce qui n'allait pas. Ils baissaient tous les yeux sur son passage, n'osant affronter le regard tranchant de leur patron. Seul Eduard savait, son secrétaire particulier. C'était lui qui avait vu le premier la lettre. Il l'avait trouvée, un froid matin de mars, perdue au milieu du tas habituel des factures, reçus et reconnaissances de dettes qu'ils recevaient en pagaille chaque jour. Une lettre de l'armée finlandaise, voilà qui avait de quoi étonner le secrétaire estonien. Il n'était pas dupe de la relation entre son patron et ce finlandais, un jeune homme très sympathique au demeurant. Tino Väinämöinen. Un sourire triste avait étiré le visage pâle de l'estonien quand il avait sorti la lettre de dessous les autres : son contenu n'était que trop facile à deviner. "Pauvre M. Oxenstierna." avait-il songé. "Et pauvre M. Väinämöinen ! Il était si jeune."
Berwald se sentait vide. Il regardait sans les voir les vagues qui s'abattaient les unes après les autres contre la grève. Le bateau qu'il attendait avait du retard. Sans doute le mauvais temps. De grosses gouttes d'eau commençaient à s'écraser sur le béton du port. Le suédois n'y prit pas attention. A quoi bon ? Il ne ressentait plus rien. Le monde était gris, fade et sans saveurs dorénavant. L'homme contempla le gouffre d'eau bouillonnante qui s'ouvrait sous ses pieds. Sauter était tentant. Disparaitre dans l'eau noire, la laisser le noyer, lui et son chagrin, se laisser entrainer dans les ténèbres du repos éternel. Peut-être retrouverait-il Tino là-bas, dans l'Au-Delà ? Cela valait toujours mieux que de rester dans la solitude de ce monde froid et poussiéreux. Il avança d'un pas sur le ponton. Ses pieds étaient maintenant juste au bord de l'abime. La chute serait rapide. Berwald essuya sans conviction ses lunettes recouvertes de gouttes. Il était prêt.
"M. Oxenstierna ?"
Le suédois se retourna, surpris. Eduard se tenait là, bien droit sous un immense parapluie noir.
"Je vous prie de m'excuser Monsieur. Mais il pleut à verse, et j'ai pensé que vous aimeriez vous mettre à l'abri. Le bateau de Monsieur Kohler ne devrait plus tarder, j'en suis certain."
Berwald resta muet. Il regarda une dernière fois l'eau sombre et tourbillonnante. Puis il regarda son secrétaire. Le pauvre estonien tremblait sous le poids du parapluie gonflé d'eau. Ses chaussures prenaient piteusement l'eau. Ses cheveux de travers et ses joues écarlates indiquaient qu'il avait du courir. Berwald se sentit touché.
"Merci, murmura-t-il en attrapant le parapluie. Dépêchons-nous de rentrer."
Le bateau était arrivé au cœur de la tempête mais Berwald était tout de même sorti pour accueillir le capitaine. Il apprit avec déception que son frère n'était pas à bord. Trop de travail dans leur comptoir au Danemark. Mais Matthias Kohler avait tout de même envoyé une lettre, que le capitaine avait ordre de remettre en main propre à son frère - ou demi-frère si l'on voulait être précis. Berwald prit la lettre et s'apprêtait à retourner dans les bureaux quand il vit que le capitaine n'avait pas bougé, hésitant.
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RECUEIL D'OS HETALIA
FanfictionDes histoires courtes avec des personnages d'Hetalia inspirées de faits historiques, ou juste sorties de mon imagination. De la Guerre de 30 ans à la 1ère Guerre mondiale, de l'Ecosse au Japon, de simples civils à de hauts gradés, l'histoire de diz...