2.3

12 2 0
                                    

Guider une personne ayant une cécité pouvait être un défi en temps normal. Le faire lorsque nous passions à travers des bois, accompagnés d'une panoplie d'animaux relevait d'un miracle. De Chantaine savait se montrer conciliant. Il acceptait mon bras pour l'emmener la où il fallait mais je remarquais qu'il se tenait de temps en temps à José, qui portait toujours sa forme animale.

Le soleil brillait à son zénith et pourtant, malgré la route tracée qui passait à travers les bois, les arbres obscurcissaient notre vision. Seulement quelques rayons de soleil réussissaient à traverser les branches fournies. Les bois ressemblaient à ceux qui se trouvaient après la barrière séparant la partie Sud de Vy et tout le reste. Les arbres étaient similaires, l'absence de bruit au début aussi. Je n'expérimentais rien de nouveau et pourtant plus je m'éloignais de Vy, plus des vents glaciaux parcouraient mon échine. Le silence de la forêt, seulement entrecouper par nos bruits de pas, m'amener à penser que quitter Vy n'était peut-être pas une si bonne idée que ça. Inspirée par la peur, je finis par questionner Arty. Ce silence m'oppressait.

- Dites-moi, puisque nous allons marcher pendant encore un bon moment, comment ressentez-vous la forêt ?

J'intercalai une indication sur une marche pour nous mettre sur le bas-côté, nous évitant de nous faire tuer par une quelconque voiture. Kael resta collé à ma jambe tandis que Ruben se mit derrière nous. José, fidèle à lui-même, continua de marcher sur la route et une vision d'une voiture tournant trop rapidement pour éviter un ours fusa dans mon esprit. Je priai silencieusement pour que ça n'arrivait pas.

- Puisque nous allons rester ensemble pendant un moment, je propose que nous passions au tutoiement. A ta voix, je doute que tu sois plus âgée que je ne le suis. Pour ce qui est de ma vision de la forêt, commença-t-il, je perçois les sons d'abord. Le pas lourd de l'Ours...

- José, intervins-je.

- Le pas lourd de José, les foulées rapides d'un autre animal...

- Kael, un métamorphe renard, précisai-je.

- Kael donc, et un frottement continu du sol par quelqu'un d'autre. Je devine qu'il fait aussi parti du voyage puisque je l'entends depuis que nous sommes partis.

- Il s'agit de Ruben, l'éclairai-je. C'est un métamorphe serpent.

- Oh, fit-il d'une voix incertaine puis plus assuré il continua. J'entends ta voix qui prend de la confiance à force de m'aider à marcher sereinement et en même temps tes pas hésitants. Je ressens l'effet spongieux du sol aqueux. Je sens... cette humidité caractéristique d'une pluie qui soit tombée récemment. Je sens le sec des arbres correspondant à la senteur boisée de la forêt entière. Je sens l'air frais aussi sur mon visage, les irrégularités du sol, les branches qui effleurent mes jambes bien que tu fasses tout pour éviter ça. Je touche la rugosité du bois qui m'apparait alors ancien et un peu sec, comme pour confirmer ma précédente théorie. J'effleure le poil rassurant de José de temps à autre. Ainsi, avec vous, la forêt m'apparait plus sûre, moins effrayante. Que vois-tu ?

Je réfléchis tout en marchant.

- Quand tu décris, tu rends le décor plus féerique. Pour ma part, je trouve l'exercice compliqué, m'exaspérai-je contre moi-même. Ce qui me vient naturellement en tête sont les couleurs. Je ne vois que du vert sombre, un peu semblable à la coloration des sapins, je vois le gris sombre du béton humide, le brun boueux du sol à côté de la route et sur lequel on marche, le jaune paille des rayons de soleil.

Il agrippa plus fermement mon bras mais attendit patiemment que je trouve comment décrire les bois. J'eus l'impression que les arbres se pliaient sur nous, allaient nous engloutir et nous recracher vidés de tous nos secrets.

- Mais en termes de sentiments, avouai-je, je dirais que cette forêt me met mal à l'aise. Elle m'angoisse même. Je ne dirais pas qu'elle m'oppresse mais je sens que si je reste des jours dans cette forêt, je ne serais jamais plus sereine. Je ne vois rien d'autre à part de l'angoisse et de la peur.

J'éternuai une fois, deux, puis je ne m'arrêtai plus. Secouant mon bras pour repousser Arty, je ne fis que reculer à la suite de la force de mes éternuements. Après quelques minutes, ma toux se calma enfin et je pus respirer.

- Rowtag ? Tu vas bien ?

- C'est cette allergie, râlai-je.

- Une allergie ? Une allergie à quoi ?

- Si seulement je savais... Que portez-vous en matière de vêtements ? Il ne doit y avoir que ça pour me faire éternuer maintenant.

- Ça ne peut pas être ça, répliqua Arty. Nous avons marché ensemble depuis un moment maintenant, et pourtant vous n'aviez pas éternué une seule fois. C'est autre chose.

J'haussai les sourcils.

- Comme quoi ?

Il haussa les épaules. Allons bon. Retenant un soupir et attendant un instant, je décidai qu'il était temps de reprendre la route. Le voyage allait se passer ainsi : avant d'atteindre la montagne, nous ferions une halte dans une ville au pied de cette dernière. Nous nous y reposerions, et j'essayerais de trouver des informations à propos du compagnon d'Arty ainsi qu'à propos de l'alpha des ursidés. Je n'avais eu affaire qu'aux alpha des cervidés et des Hyènes et ils avaient été tout deux très arrangeants et compréhensibles - plus ou moins. J'avais comme dans l'idée que si je venais à débarquer dans la tanière des ours en demandant que des comptes, je n'allais pas être bien vu. Malheureusement, avec le peu d'informations que j'avais, je ne pouvais pas faire autrement. Avant d'arriver dans le village, un arrêt pourrait être nécessaire. A priori, d'après la carte, une clairière devrait être sur notre chemin. Ceci dit, selon Ruben, il était fort probable qu'elle n'existait plus. Enfin, c'était ce que j'avais compris du soupir qu'il avait poussé lors de mon explication.

Nous discutâmes pour faire passer le temps. Arty était un kinésithérapeute. Sa cécité ne l'avait absolument pas empêché de réussir dans le domaine dans lequel il voulait travailler depuis toujours. Né sur l'île, il avait toujours eu conscience de l'existence des Alters. Sa scolarité avait été entouré d'Alters, il travaillait sur des Alters, il fréquentait certains Alters. Il avait rencontré Ben lors d'une séance de rééducation. Son compagnon était un joueur professionnel de football américain et une mauvaise attaque avait réduit sa mobilité au niveau de l'épaule. Lorsqu'il me décrit son histoire avec son métamorphe, digne des plus belles romances, je commençai à trébucher plusieurs fois, un orchestre de la faim débuta dans le creux de mon ventre et mes lentilles me vrillèrent les yeux. Un mal de tête commença à poindre le bout de son nez, mais j'attendis patiemment de trouver la fameuse clairière. Une multitude de rayon claire traversa les arbres de la forêt indiquant ainsi enfin l'arrivée de notre point d'arrêt.

L'étendue de la clairière était suffisante pour qu'un match de football dans de réelles conditions puisse s'y dérouler. L'herbe était à hauteur égal. Aucune fleur ne décorait la clairière. Seul un unique tronc d'arbre coupé occupait l'espace. Je pris une petite inspiration, ravie de me trouver dans un espace non fermé. On pourrait croire que marcher en forêt serait revitalisant mais je me sentais oppressée. L'angoisse que je me trainais depuis des heures avait peut-être eu raison de ma patience. Mais à cet instant, à l'écart des bois, mon cœur s'épanouit.

Nous nous dirigeâmes vers le tronc tranché pour nous y assoir. Je guidai De Chantaine avec ma main pour lui indiquer la distance qu'il lui restait à parcourir avant qu'il puisse poser ses fesses dessus. D'une pression sur le bras, il me remercia. J'imaginais bien combien il pouvait être fatigant de marcher avec une personne non formée aux pratiques d'aide pour les personnes en déficit visuelles. Ces personnes devaient réfléchir deux fois plus, être toujours sur le qui-vive. Si je pouvais aider grâce à mes maigres connaissances en la matière, je me dévouais volontiers. Je n'étais pas très fière de la manière dont laquelle j'avais acquis ce savoir mais il ne fallait jamais cracher dans le verre qu'on avait bu. Ce ne sera certainement pas moi qui allait commencer à critiquer le chemin de ma vie. J'acceptais mon passé. Plus ou moins. Oublions mes traumatismes.

Ruben ne nous avait pas rejoint sur le tronc décidant qu'un bain de soleil au beau milieu de la clairière était bien plus agréable. Je vis Kael s'élancer à droite à gauche, le museau dans l'herbe, surement en chasse d'une bête quelconque. La voie d'Arty coupa le silence tranquille qui s'était imposé après que j'eus sortie de quoi nous sustenter.

Ush ROWTAG T2 : Conséquente TransformationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant