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Yeonjun ne mit pas bien longtemps à rattraper Soobin dans un des couloirs d'une des multiples ailes du Grand Palais. Le cœur battant, il avait pris une des décisions les plus importantes de sa vie, bien qu'il ignorait encore ce détail. Il avait besoin de réponses pour calmer son cœur. Ses sentiments ne supportaient plus ces non-dits. S'il voulait encore se persuader qu'il y avait un espoir de faire taire son cœur meurtri, il fallait parler, une bonne fois pour toute. Les deux garçons ne pourraient tenir encore plusieurs années à se comporter ainsi. Ils le savaient. Seulement quelques jours s'étaient écoulés et voilà qu'ils tentaient déjà de fuir la réalité, remettant à plus tard des choses qui s'entassaient au fond de leur être.

C'est donc d'un geste déterminé que Yeonjun tira sur le bras de Soobin pour le retourner violemment face à lui, surprenant ce dernier qui ne s'attendait pas à un tel acte de la part du prince Kim. Mais ce dont il n'avait pas conscience, c'est que le lendemain qu'il repoussait était arrivé, et cela bien trop tôt.

« Tu crois vraiment que je suis un moins de rien ? un sensible qui ne sait pas se battre ? »

Le ton de Yeonjun débordait de reproches et de menaces. Pour la première fois, Soobin le trouva impressionnant. Son regard se faisait perçant, sa voix claire résonnait entre les pierres de l'ancienne bâtisse. Le garçon aux cheveux corbeau était pris au piège, il ne pourrait pas reculer comme il n'avait cessé de le faire. La seule chose qu'il pouvait encore faire était gagner un peu de temps.

« Je suis un prince Soobin. Moi, Kim Yeonjun, je prendrai la place de mon père dans quelques années. Moi aussi j'ai été élevé à la dure, moi aussi je n'ai pas la meilleure des relations avec mes parents, ma vie non plus n'est pas parfaite malgré tous mes efforts pour vous faire croire l'inverse. Car avant tout, moi, prince de Corée, je t'ai aimé. Yeonjun marqua une longue pause, tentant de déceler la moindre crainte dans le regard fermé de Soobin. Soobin, non enfin, Soobin-ssi. Tu étais plus qu'un ami pour moi, alors je ne t'oublierai pas. Je n'oublierai pas le petit garçon insouciant que tu as été, même si j'ai mal à chaque fois que je croise ton regard de braise. Je n'ai pas mal car que je ne te reconnais pas, j'ai mal car rien n'a changé, malgré tout. »

La gorge du dit Soobin se serra tandis que des perles salées bordaient ses yeux. Aucun mot, aucun son ne pouvait s'échapper de ses lèvres pour le moment. Seul le torrent de ses yeux le cachait encore du moment qu'il avait tant redouté. Ses larmes ne coulaient, elles restaient sagement en plat, se contentant de l'aveugler. Le garçon en face de lui le regardait, incrédule. Il devait surement se demander pourquoi il s'était laissé aller aux larmes alors que la confession encore fraiche ne venait pas de lui. Même s'il lui demandait, il ne serait lui-même que répondre. Pourquoi pleurait-il ? Pourquoi se mettre dans un tel état alors que son cœur ne disait rien ? Un souffle de plus et ses larmes rouleraient le long de ses joues. Aucune peur, aucune colère, pas même une pointe de tristesse. Son corps pleurait, alors que son âme restait de marbre.

« Pourquoi pleures-tu ?

- Si seulement je le savais, je ne laisserais rien paraître. Peut-être que tu avais raison malgré tout. Je ne me connais pas. Je ne suis pas capable de ressentir la moindre chose face à tes mots, rien, pas le moindre infime sentiment de quelconque nature. Mais je pleure, ou du moins mes yeux pleurent.

- Alors vas-tu me laisser t'aimer ? Tu sais, je ne le fais pas par envie, mon cœur ne m'en a pas laissé le choix. Je comprendrais que tu ressortes ton épée et aille jusqu'au bout cette fois-ci.

- Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi que tu aimes. »

Soobin regrettait ses mots, cependant il savait qu'il n'avait pas le choix lui non plus. Il connaissait le danger qu'il encourait. Sa famille aurait sa peau, c'était certain. Si elle l'apprenait, ses rêves ne verraient jamais le jour, il aurait vécu pour rien. Car ce n'était pas pour sa haine que Soobin se tenait sans arrêt à l'écart des autres. Il restait seul non pour se protéger lui, mais pour sauver sa famille. Sauver sa famille de ses mégardes, des catastrophes qu'il pourrait générer, des secrets qu'il pourrait révéler sans le vouloir. Le prince était encore que trop peu habitué aux échanges, au contact humain, pour maitriser l'art de la parole et du mensonge.

Cethosia ʸᵉᵒⁿᵇⁱⁿOù les histoires vivent. Découvrez maintenant