Un règne vorace

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Parfait. Oui, tout est parfait.

Pourquoi s'évertuer à faire par nous-mêmes, quand ce que l'on désire nous est exposé sur un plateau d'argent ?

Un verre à la main, le Comte Lucius de Cambridge, un homme de vingt-huit ans à la carrure puissante d'un mètre quatre-vingt-dix, aux longs cheveux blonds attachés en catogan et aux yeux gris perçants, balaya d'une œillade l'agencement qui l'entoure. Ses iris diffusaient l'impression limpide que quiconque passerait sous ce regard, serait jugé dans les plus intimes recoins de son âme, analysant l'utilité de cet individu.

La pièce dans laquelle il se situait était grande et richement décorée, partant des chandeliers en or aux tableaux de créateurs. Posé sur un tapis brodé de fils d'or, un assortiment de sofas et de fauteuils en cuir rembourrés faisaient face à un grand foyer où crépitaient de douces flammes. À l'opposé, de grands ajours ornaient le pan du mur, à demi revêtus par de lourds rideaux bordeaux ainsi que des meubles en bois massifs décorant le reste de la pièce. Tout ceci appartenait à l'organisateur de cette réception, Curtis de Rivers.

Le Duc Curtis de Rivers, était un homme de taille modeste aux airs protecteurs et doux, est un homme dont tout le monde apprécie la compagnie. Cependant si l'on plongeait le regard dans le sien nous détecterons une étincelle de mise en garde : heurtez ceux qui me sont chers, et je ne répondrai de rien. Son doux visage au sourire tendre et ses cheveux châtains encadrant doucement son visage trompaient toute personne négligente. M.Cambridge avait réussi, on ne sait par quel moyen, à entrer dans le cercle privé de ses amis les plus sincères. Mais ce qui étonnait la population, c'est que cette amitié soit réciproque.

Le Comte Lucius réfléchit à son opportunité tout en examinant les invités présents. N'était-ce pas une occasion idéale qui se présente à lui ? Avoir la richesse, la notoriété ainsi que la fin des commérages sur sa vie intime ? Oui, il pourrait à partir de cet instant contrôler plus de ces insignifiantes personnes, qui ne seraient là que pour flatter son ego des plus viles façons qui soient. Etait-il prêt à tout assumer pour l'aboutissement de son dessein ? Indéniablement, il en était certain. Il ne manquait plus que la pièce maîtresse, la faire porter son nom, s'appropriant ses biens et sa renommée. Oui, il n'attendait plus que ça.

Le grincement d'une porte que l'on ouvre détourna l'attention de Lucius qui la porta sur l'origine du bruit. Son cœur rata un battement. Un chose qu'il n'avait pas prévu, un détail qui échappa totalement à son contrôle. La pièce principale de sa machination était arrivée. Lady Victoria de Rivers, la fille unique du Duc de Rivers fit irruption. Un facteur qui altèra l'ensemble de son plan. Il n'avait point prévu d'éprouver un tel sentiment inconnu à ce jour.

Quel était ce sentiment inattendu ? Pourquoi était-il étranger ? Inexplicable ? Inexploré et inaccessible jusqu'à maintenant ? Mais surtout, insoupçonné ? Pourquoi le découvrir, là, affolant les principes même de Lucius ? Un sentiment nouveau mêlé à ... Du bonheur ? Pourquoi cette impossibilité de la quitter des yeux ? Parcourant sa silhouette, détaillant chaque étendue, chaque millimètre, ne voulant que se rapprocher, l'étreindre, la posséder intégralement, ne faire plus qu'un. Oui il était convaincu, elle serait à lui, par tous les artifices. M. de Cambridge eut un mouvement de recul, ne daignant pas mettre une appellation sur ce sentiment, le rendant affolé. L'Amour.

Cependant n'était-ce pas le plus euphorique des moments que de percevoir la personne qui nous est destinée ? Une joie pure l'envahit, le poussant à s'approcher d'elle et à l'accoster en lui adressant un hochement de tête. Le Comte buvait ses moindres paroles et fut émerveillé par son charme et son intellect.

Victoria de Rivers était une jeune dame de vingt ans, menue avec de long cheveux noirs descendant en cascade balayant ses reins ainsi que des yeux bleus démontrant toute sa gentillesse. Lucius avait l'impression de voir un ange noir. Sa beauté outrepassait l'entendement, empiétant sur l'ensemble des demoiselles ici présentes, demeurant l'ultime et l'unique entre toutes.

Le Comte n'arriva pas à oublier ce charmant oisillon, occupant toutes ses pensées même les plus sombres. En premier lieu, il ne pensa qu'au bon côté de la circonstance. Mais plus le temps défilait, plus un autre sentiment se développait, amenant une envie malsaine. Un appétit vorace, un besoin nuisible, une tentation mélangeant haine et soif de domination. Il commença à être plus profondément présent dans la vie de la Lady, qui l'accepta à cœur ouvert, ignorante de ce qui se mettait en place. Silencieusement, progressivement, M. de Cambridge commença à avoir une place importante et néfaste dans la vie de la demoiselle.

L'homme contemplait sa femme alors qu'elle le choyait, lui obéissant, l'aimait. En rentrant chez lui son repas était toujours prêt ainsi que son bain. Après une rude journée, il lui arrivait d'avoir quelques aigreurs excessives. Néanmoins, sa femme lui pardonnait inlassablement. Le comte était enveloppé dans une joie immense, ayant, pour lui, une vie des plus idéales. Il était riche, à la notoriété tant attendue, les hautes relations enviées. Il commandait sa femme et les insignifiants individus sous ses ordres. Le couple était enveloppé dans un bonheur fou, se noyant dans l'amour nocif du mari.

Cela empira, Lucius devint obsessionnel, voulant tout savoir de Victoria. Ses fréquentations, ses promenades, son emploi du temps. Absolument tout. Cette dernière commença à se ternir doucement, perdant sa beauté d'antan, cette étincelle si spéciale dans son regard disparut progressivement. Son mari était fou, et elle aussi le devenait. M. de Cambridge fit tout pour rallumer la flamme, raviver le brasier désormais refroidi. Il lui offrit des présents tous plus somptueux les uns que les autres, la choyant à n'en plus pouvoir. Et ainsi continua leur vie.

Lucius ne voyait pas où était le problème. D'ailleurs, pour lui, il n'y en avait pas. Il était dans un bonheur qui envahissait chaque recoin de son être, inondant toutes les particules de son corps. Il revoyait la beauté de sa femme, ses cheveux de soie, sa peu de porcelaine, ses douces attentions. Oui, Le Comte était comblé, plus rien ne pouvait le satisfaire plus qu'elle. Elle était son trésor, son monde, sa huitième merveille. Elle n'était qu'a lui, son amour, sa raison de vivre.

Sur le chemin du retour, le Comte imagina comment ravir Lady de Cambridge. Il allait lui préparer son repas favori, lui pétrir, assouplir, frictionner le dos tout au long d'une baignade aux huiles essentielles pour ensuite passer l'une des meilleures nuits au sein de leur cocon. Quelle planification pourrait être meilleure que la sienne ? Après une exténuante journée, Lucius poussa la porte d'entrée de son manoir avec la hâte de retrouver sa femme. Elle n'était pas là pour l'accueillir. Il appela son nom à voix forte. Pas de réponse. Après un froncement de sourcil, l'homme continua son ascension vers la bibliothèque, lieu dans lequel Victoria avait pris pour habitude de se reposer tout en feuilletant des manuscrits. Toujours rien. Il décida alors d'aller voir dans leur chambre à coucher. Rien, excepté les portes ouvertes de l'armoire de la Lady. Il s'avança vers celles-ci et son cœur s'arrêta.

Vide. Plus aucun vêtement. Il descendit en trombe fouillant chaque recoin du manoir, le cœur battant à tout rompre. Vide.

Elle était partie. Elle l'avait abandonné. Le Comte Lucius de Cambridge s'effondra au sol, des gouttes salés dévalant ses joues à toute vitesse. Son bonheur l'avait dévoré.

Son bonheur fou.


Manuscrit ClandestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant