Chapitre quatre ― Guillaume

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Aujourd'hui

Commencer un nouveau travail est toujours stressant, même quand on est le patron. Forcément, je me demande si j'ai bien fait d'accepter ce nouvel emploi mais j'avais besoin de changement. C'est aussi pour ça que j'ai changé de lunettes. Je vérifie qu'elles s'accordent à mon costume et je pars. Je suis attendu pour un discours, des poignées de main, des sourires à la pelle et un déjeuner aussi emmerdant que les rayures de ma cravate.

― Bonjour à tous, merci de vous être réunis pour accueillir notre nouveau collaborateur et ami. Veuillez applaudir Monsieur Arazgag.

Je sais que c'est mon tour, alors je monte sur l'estrade, lui sert la main et balaye l'assemblée comme j'ai l'habitude de le faire avant chaque discours. Au loin, j'ai l'impression de voir une tête blonde qui m'est familière mais je suis à peu près certain de me tromper alors je ne fais pas attention.

Je déblatère beaucoup de choses, la plupart sans intérêts mais je sais que c'est ce que mes nouveaux collaborateurs attendent de moi. Je fais des gestes avec mes mains, glisse quelques plaisanteries, fais un salto arrière et c'est fini. Une salve d'applaudissements plus tard, je suis à nouveau en train de serrer des mains.

D'autres gens approchent et c'est le drame. Un tsunami dans la gueule et Hiroshima dans ma tête. Je cligne des yeux. Trois fois d'affilée pour effacer la vision qui me semble si fausse. Je me pince discrètement et hurle dans ma tête. Ce n'est toujours pas un rêve. Pourtant, j'ai rêvé de le voir un nombre incalculable de fois il y a quinze ans.

― Monsieur Arazgag, se présente-il en me tendant la main.

Je sens que sa voix n'est pas très assurée mais il ne bégaie plus. Sa peau a une certaine douceur qui est agréable. Mais rien de tout ça n'existe.

― Vous êtes ?

Son visage se tord. Ça ressemble donc à ça de faire du mal volontairement à quelqu'un.

― Je suis Elio Mone...‒

J'ai envie de l'arrêter. Je sais qui tu es.

Elio.

Elio.

Elio.

J'entends quelqu'un m'appeler un peu plus loin et je me jette dans la brèche. Je détourne le regard, lâche sa main qui me pique comme un cactus vicieux et pars d'ici. J'aimerais aller encore plus loin, disparaître jusqu'au noyau de la Terre, mais ce n'est pas comme ça que les choses se passent.

Elio.

Elio.

Elio.

Je trinque avec les investisseurs, rigole à quelques blagues, avec un sourire éclatant et je visite les bureaux. J'essaie de me présenter à toutes les personnes que je croise, afin de paraître un peu sympathique à leurs yeux. Même si je sais pertinemment qu'ils me voient comme le grand méchant loup.

― Ici, nous avons le bureau d'Elio Monetti, notre meilleur expert-comptable.

Je dois avouer que c'est la meilleure blague que j'ai entendue jusqu'à présent. Elio déteste les chiffres et les calculs. En jetant un coup d'œil à la plaque qui orne la porte en bois, je constate que les informations que j'ai le concernant sont désormais périmées.

Alors que mon guide s'apprête à toquer à sa porte, je l'arrête en vol. Je mens comme un arracheur de dents pour nous éviter de rentrer dans la pièce, j'invoque une demi-douzaine de prétextes pour y échapper. Cela semble fonctionner puisque nous quittons l'étage pour rejoindre mon futur bureau.

Après la vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant