Chapitre six ― Elio
Aujourd'hui
Je peste contre mon ordinateur, m'arrachant au passage des touffes et des touffes de cheveux. J'en suis presque rendu à détester mon travail qui me plaît tant en temps normal. Ouais, mais voilà, on n'est pas en temps normal. Ça fait plus d'une semaine que son altesse Arazgag a rejoint la boîte et depuis, c'est l'Enfer. J'ai l'impression de faire de la gondole sur le Styx. Bien sûr, faire de la gondole, c'est sympa, mais sur le Styx, c'est dangereux. Excellente métaphore, travailler avec lui est dangereux.
Je n'ai toujours pas digéré le fait qu'il ne m'ait pas reconnu et, plus encore, j'ai envie de me tuer parce que je n'arrive pas à lui avouer qui je suis. Le lendemain de son arrivée, je m'étais promis d'aller le faire mais Wanda passe tout son temps-libre et non-libre dans son bureau et lui, il ne passe jamais me voir. Mon ancien patron venait tout le temps me voir. Je crois qu'il ne savait même pas qu'il pouvait m'envoyer des mails pour gagner du temps.
Guillaume ne vient jamais, il n'a jamais passé un orteil, l'ombre d'une oreille ou encore une demi-phalange dans mon bureau. J'ai l'impression d'être dans une zone de danger, Tchernobyl, et que s'il vient, son cerveau va se dédoubler, lui provoquant une rupture d'anévrismes. Avant que j'aie eu le temps de lui parler.
J'extrapole.
Je devrais aussi m'inquiéter de voir Wanda autant dans son bureau, si on a des soucis juridiques, la boîte est foutue. Les investisseurs vont quitter le navire avant qu'il ne coule. Je me trouve encore plus pessimiste que d'habitude, je ne sais qu'en penser.
― Elio Monetti à l'appareil, annoncé-je en décrochant le téléphone.
― Ça sonne très officiel tout ça.
Violette.
― Que me vaut l'honneur de ton appel ?
― Rien, juste qu'il est bientôt dix-huit heures et je voulais être sûre que tu n'avais pas oublié qu'on fait un apéro ce soir, avec tout le monde et que ça fait un moment que ce n'est pas arrivé.
Honnêtement, oui, j'avais oublié. Pourtant, ça fait des jours et des jours que Violette m'en parle mais mon esprit a été embrumé par une venue un peu spéciale.
― Je suis sur le coup t'inquiète, j'allais bientôt partir du bureau et arriver chez-toi.
Je raccroche et enfile mon imper jaune, comme si j'étais un vrai petit Breton. Raté, mais je suis un vrai Lillois. Je sauvegarde mon travail et éteins mon ordinateur, tout en vérifiant que tout est prêt pour demain.
En sortant de mon bureau, et comme un bonheur n'arrive jamais seul, je tombe nez-à-nez avec mon cher patron, le seul et l'unique. Je sais d'avance que nous allons nous retrouver ensemble dans l'ascenseur et ce n'est pas une perspective qui m'enchante particulièrement.
― Toujours en jaune, Monsieur Monetti ?
Ce midi, Richard m'a dit que le patron essayait d'apprendre le maximum de noms d'employés et qu'il aurait même accroché le trombinoscope sur un des murs de son bureau. Je ne suis donc pas surpris de l'entendre m'appeler par mon nom de famille mais sa remarque m'exaspère. Même pire, elle m'énerve et lui aussi, avec sa tête de surdoué, sorti de l'ENA.
Le voir comme ça, face à moi, me rappelle cette soirée au camping où j'avais hésité à l'inviter manger avec nous. J'avais toujours un peu regretté de ne pas l'avoir fait. Aujourd'hui, je m'en félicite.
― Le jaune, c'est la couleur des cocus, je trouvais que ça m'allait bien.
Il arrête de marcher en plein milieu du couloir et moi, je m'insulte intérieurement. Je suis supposé être quelqu'un de calme et posé, je n'ai jamais un mot plus haut que l'autre et je viens de lui balancer ça. Nature, peinture. Alors que ce n'est même pas vrai. Je n'ai eu personne depuis... un long moment.
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Après la vague
RomantizmIl y a quinze ans, Elio avait passé un été mémorable avec Guillaume. Le ténébreux et mystérieux Guillaume dont le sourire était ravageur. Cet été-là, le blond et le brun avaient passé un pacte ; ils se reverraient. Coûte que coûte. Contre vents et m...