Deuxième chapitre

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 15 Décembre 2013


Une sonnerie de téléphone me tire de mon sommeil.

Je n'ai pas le courage de décrocher. Tant pis, ils rappelleront. Je ricane. Non, ils ne rappelleront pas. Ils me vireront, c'est la seule chose qu'ils feront. En soupirant, j'attrape l'iPhone réservé aux urgences de Victoria's Secret. C'est le cadeau empoisonné qu'ils font à chaque nouvelle recrue, pour pouvoir les joindre rapidement en cas de besoin, ce qui est assez courant, d'ailleurs. Ils ont toujours besoin de nous, même pour les tâches les plus insignifiantes. On ne dirait pas comme ça, mais ils ne nous considèrent pas uniquement comme des mannequins. Pour eux, on sert un peu à tout. Mais la place que nous occupons est beaucoup trop précieuse. On ne peut pas se permettre de contester certaines tâches qu'ils nous confient. Alors on accepte, sans trop discuter.

Je décroche tout juste avant la dernière sonnerie.

- On a besoin de toi. Rendez-vous à 11h30. Et ne sois pas en retard.

Je n'ai pas le temps de répondre que Nelly a déjà raccroché. Cette fille devrait vraiment prendre des cours pour devenir aimable. Je n'ose pas regarder l'heure, sachant déjà que la matinée est bien entamée et qu'il vaut mieux que je me lève tout de suite. Je me demande si j'ai dormi plus de cinq heures. Malgré tout, c'est plutôt bien pour un lendemain de défilé. Il nous arrive parfois de passer des nuits entières à faire des séances photos, notamment après les shows, pour le site et les magazines de la marque.

Je jette un coup d'oeil autour de moi et constate qu'une fois encore, j'ai tout laissé en plan. Chaussures, tenues portées la veille, sac à main. Tout traîne par terre. Bravo, Karlie.

Je vis dans un grand studio new-yorkais, et ce depuis trois ans. Officiellement, il est au nom de Joshua Kushner, qui, officiellement, est mon fiancé. Cependant, étant absent 364 jours par an à cause de son statut d'homme d'affaires, je ne le considère plus vraiment comme tel. A vrai dire, nous avons assez vite perdu l'étincelle qu'il y avait entre nous. Puis peu à peu, nous avons tout perdu. Les insomnies, les longues nuits passées à des milliers kilomètres l'un de l'autre, les réveils dans des lits solitaires, l'excitation des retrouvailles. Tout ça a disparu. Quelques fois quand je rentre, je le trouve assis sur l'un des fauteuils en cuir noir, une bière à la main. Il ne reste jamais très longtemps. Pas assez longtemps, aurais-je pu dire. Mais la vérité est qu'à chaque fois qu'il repart, je respire à nouveau.

Tout en rêvassant, je me dirige vers la salle de bain et j'évalue la hauteur des dégâts. Cernes, maquillage de la veille, cheveux en bataille. Une fois de plus je me maudis de ne pas m'être douchée en rentrant, mais la fatigue me devance tous les soirs et me devancera sûrement toujours. Je consulte l'horloge. Tu vas te faire tuer, Karlie. Comme d'habitude. Il me reste moins d'une demi-heure. Autant dire que je signe mon arrêt de mort si j'ose arriver là-bas avec ne serait-ce qu'une minute de retard.

Je me douche en quatrième vitesse, et sans prendre le temps de me maquiller un minimum - tant pis pour l'apparence, le physique et les paillettes - je file, vêtue d'un simple jean et d'un pull beige.



°°°°


- Vous avez lu les critiques du show ? Pour l'instant elles sont toutes positives !

Lindsay Ellingson. Un mètre quatre-vingt. Longs cheveux blonds. La plus calme et la plus posée de toutes les filles du groupe. J'ai toujours pensé que son air angélique et la douceur de sa voix y étaient pour beaucoup. Lorsque j'ai été recrutée, j'ai tout de suite reporté mon attention sur elle. J'étais en quelque sorte déterminée à lui ressembler. Mais ça n'a duré qu'un temps, à vrai dire. On finit par trouver notre propre identité ici, sans se calquer sur une autre. Malgré tout, j'ai rapidement tissé des liens avec elle. Elle fut ma première vraie confidente au sein de Victoria's Secret.

Angels CollideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant