Cons damnés

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Je sentis mon carnet de bord dans ma poche, il ne m'a pas servis. De toute manière ce que je vivais resterait gravé à jamais dans ma mémoire. La der des der comme on l'appelait... tu parles ! Ça n'en finira pas. J'ai vu des connaissances mourir sous mes yeux brûlants de l'atmosphère infecte et des images d'horreur qui me venaient en flash lorsque l'assaut était lancé. Il y a bien longtemps que ce n'était plus une guerre de stratégie mais une boucherie sans fin. Je me souviens d'un ami, voisin de place dans une camionnette qui nous dirigeait au front. Au début je n'était pas conscient mais c'était bien un aller simple, j'étais d'ores et déjà condamné, dès que je l'avais rencontré. C'est d'ailleurs la personne la plus humaine que j'ai pu rencontrer, bizarrement par son pessimisme et sa misogynie. Il était le seul à appréhender ce qui allait se passer tandis que tout les autres ricanaient et parlaient trop. Peut être faisaient-ils ça pour penser à autre chose. Lui, je pense que sa passion des œuvres de Schopenhauer le matrix aient. Il méprisait la science et l'histoire, l'avancée de l'humanité était pour lui une impasse qui allait se dresser tôt ou tard. Il disait souvent que nous étions des damnés, tous des frères damnés ayant comme mère commune la guerre, celle qui a enfanté les hommes que nous sommes devenus. La question qui revenait le plus souvent était : « d'où est ce que tu viens ?». Quelle que soit la réponse, nous avions tous vécu la même chose. Au fil des semaines on a appris que commettre un meurtre n'était plus si grave que ça. À travers ses idées réalistes selon lui, c'était un grand rêveur qui aimait la mythologie grecque. Je pense qu'au fond, il aurait voulut être immortel, tel un demi-dieu.
Il avait été nommé éclaireur au sein du bataillon, lui qui voulait prendre des risques, lui qui n'était pas vraiment attaché à la vie. Je me souviens du dernier moment que j'avais passé avec lui, il disait souvent que le silence serait notre âme sœur dans cette guerre. Il s'en voulait de violer cette solitude qu'il aimait comme sa seule, sa dernière liberté dans la vie.
Je ne savais pas comment le prendre, donc je le regardais parler sans vraiment l'écouter. Mais en fixant ses lèvres sèches, comme s'il s'agissait des dernières lignes d'une lettre d'adieux.

DamnésWhere stories live. Discover now