Par-delà les astres

2 0 0
                                    


La nuit sans fin tomberait bientôt. J'aimais ces périodes où un prodige astronomique plongeait le monde dans une nuit perpétuelle un mois durant. Je vous accorde que le terme se trouve être parfaitement exagéré, mais il nous vient d'une période pendant laquelle une humanité confrontée pour la première fois à ce phénomène y voyait les pires augures eschatologiques s'abattre sur elle. Mais rien de tout cela, simplement une facétie du l'univers. J'avais pour coutume de me rendre, lors de cette période, dans un observatoire astronomique perdu dans les montagnes du Marak. J'espérais, à chaque fois, y rencontrer un savant pouvant éclairer ma nuit à propos du cosmos. Jusqu'ici, je ne rencontrais qu'un silence tranquille. La chose ne me désespérait en aucun cas, je m'attelais toujours à mon pèlerinage avec la même ferveur.

Quand l'observatoire apparut à l'horizon, la nuit sans fin venait de tomber. Un ciel sans nuages constellé d'éclat argenté dispensait une lumière diaphane presque surnaturelle. Une quiétude étrange et immobile planait dans l'air. La terre malmenait par une fournaise solaire accablante, semblait respirer de nouveau. Une légère brise soulevait une végétation malingre. Le silence sépulcral qui régnait d'habitude sur le monde avait été remplacé par le silence calme des étoiles. Happé par cette atmosphère étrange, je ne remarquai pas immédiatement la lumière vacillante au sommet de l'observatoire.

Finissant de gravir les escaliers tortueux menant au sommet de la tour, je constatai avec bonheur qu'une présence se trouvait bien entre ces murs. La seule pièce de l'édifice, d'habitude si vide, regorgeait d'objets en tout genre, ainsi que de nombreux livres et parchemins hors d'âges. La trappe qui menait au toit était ouverte. J'entrepris de grimper à l'échelle afin de rencontrer le mystérieux visiteur. Le haut de la tour formait un cercle de pierre nue où trônait en son centre, un appareil massif et complexe. La partie principale était un long tube de cuivre d'un mètre de diamètre, disposé sur un mécanisme complexe qui permettait de le tourner dans n'importe quelle direction et de l'incliner à loisir. Une silhouette vêtue d'une robe mitée grisâtre était penchée à l'extrémité basse du tube et avait le visage coller contre la machine.

— Bonsoir, ami voyageur, dis-je d'une voix enthousiaste.

La silhouette se retourna pour laisser entrevoir un visage émacié, presque squelettique, parcouru par une barbe décrépie grisonnante d'une longueur impressionnante.

— Oh, bien le bonsoir ami des étoiles, vous êtes venu pour profiter de l'astroscope ?

— À l'origine, je viens ici à chaque nuit sans fin pour trouver un savant. Malgré mes visites répétées, je n'ai jamais su faire marcher cette machine.

— C'est à vous que je dois d'avoir trouvé cet endroit si propre, compte tenu du contexte. Vous avez tous mes remerciements ! Quant à faire marcher l'astroscope, c'est chose impossible sans les miroirs que j'ai mis en place. Il m'a fallu un temps considérable pour les trouver.

— Des miroirs ? Quelle machine complexe ! m'écriais-je, heureux de trouver une âme instruite d'un savoir qui me faisait défaut.

— À vrai, dire la base du système n'est pas si complexe. Une suite de miroirs capture et reflète la lumière qui nous vient du ciel et une lentille grossissante nous permet de voir des choses invisibles à l'œil nu. Venez voir par vous-même.

L'homme s'écarta de la machine et en pointa de la main un endroit particulier. Je m'approchai d'un pas rapide et vis ce qui m'avait échappé jusqu'ici. À la base de l'objet sortait une petite excroissance cylindrique. Je me penchai pour y coller mon œil droit.

— Fermez l'œil gauche, il va vous falloir quelques secondes pour que votre œil droit s'habitue.

Je m'exécutai aussitôt et fus bientôt assailli par une vision incroyable. Devant mon regard médusé, je pouvais entrevoir une planète à la surface parcourue de strie pourpre entourée d'un anneau rougeoyant sous la lumière du soleil lointain. Bientôt, ma vue fut brouillée par les larmes.

— L'anneau est en réalité composée de poussières et de petites roches. Pendant longtemps, les astronomes ont cru qu'il s'agissait d'un corps entier et massif, mais il y a longtemps un savant qui observait une comète constata que celle-ci avait traversé l'anneau de Polaris, le nom de la planète que vous voyez, sans qu'elle en soit affectée. Il lui aura fallu une décennie de recherche et d'observations afin de comprendre ce qui s'était vraiment passé. À l'époque, ils ne possédaient pas de lunettes aussi sophistiquées. Une découverte absolument remarquable et décisive.

Me relevant lentement de la prodigieuse machine, mon regard croisa celui de l'astronome qui me gratifia d'un grand sourire franc et ému.

— J'ai eu la même réaction que vous la première fois que j'ai pu observer l'univers. Asseyez- vous mon ami et reprenez vos esprits.

— Un vrai prodige, vraiment, arrivais-je à articuler alors que m'asseyais sur un petit tabouret.

— Oh, je m'appelle Aspera, je n'ai même pas pris la peine de me présenter. Mais dites-moi, vous devez être un savant vous-même, vous en partagez le même enthousiasme et cette capacité à s'émerveiller.

— Appelez-moi, Marcheur. Je ne sais pas si je suis un savant, mais je me suis donné pour tâche de parcourir ce qu'il reste du vaste monde afin de récolter d'histoirs et de savoirs. Je suis à la recherche de ce qui a été perdu même si j'ignore ce que c'est.

— Eh bien on peut dire que votre entreprise est encore plus considérable que la mienne. Historien de la fin du monde, voilà une mission louable.

— J'ai souvent peur que mes actions soient inutiles et sans conséquences, mais je crois bien qu'au fond je m'en moque... Mais parlons plutôt de vous, d'où vient votre passion pour les étoiles ?

— D'où me vient ma passion pour les étoiles ? Oh, voilà une chose à laquelle je n'ai pas songé depuis des lustres. Comme beaucoup de choses, cela vient de l'enfance. Le cosmos était pour moi source d'émerveillement et de mystère. Savoir que l'on se trouve sur un globe flottant dans un immense vide, voilà de quoi exciter l'imagination. Par ailleurs, de mon temps les connaissances astronomiques étaient peu nombreuses, je compris vite qu'il fallait que je réponde moi-même aux questions qui m'assaillaient. Mais je peux vous le dire aujourd'hui, même après une vie et une mort d'étude, les réponses restent peu nombreuses. Cela rend d'autant plus merveilleux de voir une de ses théories se vérifier. Et pour répondre à une question que vous ne m'avez pas encore posée, je travaille actuellement à éprouver une idée que je tiens depuis longtemps déjà. Beaucoup nous échappent dans notre compréhension de l'univers, mais l'observation nous montre que certaines choses dans l'univers s'échappent de manière littérale, sans laisser aucune trace. Alors j'ai imaginé que pouvez exister des astres occlus, qui agiraient à l'inverse du soleil. Ce dernier nous donne lumière et chaleur, l'astre occlus, lui, mangerait chaleur et lumière. Astre et astre occlus formeraient une balance cosmique qui maintiendrait l'univers en équilibre. L'idée me semble élégante, mais difficilement vérifiable eu égard aux caractéristiques que je suppose de ces objets stellaires. S'ils mangent la lumière alors on ne peut pas les voir. La seule solution que je voie est de cartographier avec précision un coin de l'espace et de l'observer sur une longue durée afin de voir si des choses disparaissent sans laisser de traces. Une tâche bien laborieuse, mais qui me semble inévitable afin de ne pas avancer des idées sans preuve. Cela me donne aussi une excuse pour avoir le nez dans les étoiles plus que de raison.

Nous passâmes de longues heures à discuter. Aspera me dispensa son savoir avec une verve et une clarté incroyable.

— Je vous ai raconté beaucoup de choses Marcheur, j'aimerais que vous me racontiez une histoire. N'importe laquelle, qu'elle soit de vous ou qu'on vous l'ait rapportée.

— Hmm, une histoire... Je gardai le silence durant quelques minutes. Peut-être que celle-ci vous intéressera.

Sur la rive, avec le LeviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant