Le dernier Titan

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La pluie tombait depuis plusieurs jours. Las de patauger dans la boue, je me mis à la recherche d'un abri dans ce vallon rocailleux. Je trouvai assez vite une grotte naturelle creusée dans une pierre d'un noir intense veinée d'un rouge magmatique. Bien que peu profonde elle me permettait tout de même de me prémunir des éléments déchainés. Je m'assoupis rapidement. Un bruit sourd me tira de ma torpeur. Je vis alors devant moi une créature osseuse stéllée de chair en putréfaction. Sa gueule gigantesque aux crocs acérés claquait avec impatience. Ces orbites pourtant vides brillaient d'un éclat démoniaque. La créature commença à avancer lentement vers moi, trop consciente de mon infortune. Je n'avais nulle part où fuir. Un rugissement résonna dans la caverne. Je vis alors un éclat argenté apparaitre derrière la créature. Puis un fracas assourdissant fit vibrer l'air. Devant les restes de la créature désarticulée, se dressait un individu de haute stature recouvert d'une lourde armure. Il tenait à la main un marteau gigantesque. Si l'armure semblait l'œuvre d'un maitre-forgeron, le marteau, lui, n'était qu'un morceau de métal grossier aux proportions monstrueuses. J'étais encore abasourdi par ce qui venait de se passait quand l'armure prit la parole :

— Eh bien, il était moins une pour toi, p'tit gars. Je traque cette bestiole depuis une quinzaine et j'croyais l'avoir perdu à cause de cette foutue pluie. Mais finalement la journée finira mieux que prévue pour nous deux.

Mon sauveur vint s'asseoir en face de moi dans un fracas métallique.

— Merci, messire chevalier, arrivais-je à bredouiller.

— De rien mon gars. Excuse si j'enlève pas mon casque, mais en dessous il reste plus rien. J'suis plus qu'une armure animée j'sais pas trop comment. Mais j'vais pas trop plaindre. J'avais demandé à ce qu'on m'enterre avec tout mon barda. Héhé, on peut dire que ça m'a réussi.

— Voilà qui est intéressant. J'avais déjà entendu parler d'armure vivante sans en rencontrer moi-même.

— J'te sauve la vie et j'te donne du grain à coudre. C'est ta journée mon gars !

— Je suis à la recherche d'histoire en tout genre. Pouvez-vous me raconter la vôtre ?

— Mon histoire ? un rire sonore jaillit de l'armure. A part me foutre sur la gueule avec d'autres abrutis comme moi, j'ai pas fait grand-chose de ma vie. Mais je veux bien te raconter une histoire...

J'ai grandi sur la Chaussée des Titans. Pour avoir parlé avec pas mal de carcasses, j'ai l'impression que c'est pas très connu. Pour la faire courte, c'était un royaume qui bordait une chaine montagneuse nommée Crios. On nous appelait les titans à cause de notre taille ; faut dire que l'environnement était particulièrement hostile et qu'il fallait être sacrément balaise pour s'en sortir. Ou intelligent, mais je m'suis contenté d'être balaise. On était en lutte permanente avec les trolls des montagnes qui passaient leur temps à nous foutre sur la tronche pour nous voler notre bouffe. Guerrier plus par survie que par vocation, j'ai rien connu d'autre. Étant particulièrement compétent dans le cassage de tronche, je suis devenu assez célèbre dans la région. Et à même pas vingt ans, j'ai obtenu mon armure de titan. Mon nom commença même à être connu en dehors du pays. Pallas, le roi des titans, qu'on m'appelait. Obtenir l'armure était pour moi l'achèvement de toute une vie. Je me suis retrouvé un peu con à réaliser mon rêve aussi jeune. Affublé de l'honneur suprême de mon peuple, qu'est ce que je pouvais faire ? Comme je vous l'ai dit, j'suis pas très futé, donc au lieu de profiter de ce que j'avais obtenu, et faire comme mes ancêtres, c'est-à-dire fracasser des trolls pour protéger nos terres, j'suis parti dans le grand monde. Qui dit grand monde, dit grand problème ! J'étais rompu à l'art de la guerre, bien plus que tous ces tyrans enrubannés. Par chez nous, on se bat pour survivre, j'ai découvert que certains se battaient pour le pouvoir, l'argent et même le plaisir. Assez vite, je me suis éloigné de ces conflits mais l'appel de la gloire était trop fort. Enivré comme le dernier des pochtrons, je me suis mis à arpenter les régions les plus sauvages du monde et à terrasser des créatures monstrueuses. Je menais une vie simple. J'allais de village en village me laissant guider par les témoignages que j'y trouvais. Je finis par arriver dans les confins du monde, les gens y menaient une vie simple loin de l'agitation du monde civilisé. Et v'là qu'on me parle d'un dragon ! J'ai fait la même tronche que toi quand j'ai entendu ça. Un dragon ! À mon époque, on parlait de ces lézards volant comme de légendes venues d'un lointain passé. J'suis immédiatement parti à sa recherche. J'ai exploré les montagnes où on disait l'avoir vu, un mois durant. Mais je finis par tomber dessus. Sur un plateau isolé au milieu des pics enneigés, je l'ai trouvé en train de pioncer. J'vous jure, il était pareil que dans les livres : gigantesque, avec des écailles, ailes énormes et des griffes peu rassurantes. Je m'étais assis sur un rocher pour observer ce prodige venu d'un autre temps quand il se réveilla. Ses yeux d'un jaune de ténèbres me fixèrent avec attention, un ronflement lourd et régulier faisait vibrer sa poitrine.

— Bonjour, aventurier, me dit-il d'une voix à la profondeur vertigineuse.

— Euh, ben bonjour, monsieur le dragon ?

— Tu es venu pour me tuer ?

— En fait, je n'y ai même pas réfléchi. J'ai entendu parler d'un dragon, j'ai filé aussitôt.

— Ta réputation est arrivée jusqu'à moi Pallas, il se redressa alors, tendant son long cou vers le ciel. On dit que rien ne résiste à ton marteau.

— Certains me disent intelligent, comme quoi faut pas écouter tout le monde.

Ma décontraction m'étonnait moi-même. Un sentiment jamais éprouvé faisait son chemin en moi. J'étais face à un être prodigieux, une force indomptable qui avait survécu au-delà de tout ce que les hommes pourront jamais imaginer. Et je me tenais face à lui. L'œuvre entière de ma vie m'apparut comme misérable et insignifiante. Pourtant j'aurais dû être satisfait ; ma réputation était venue jusque dans les confins abandonnés du monde, sur les ailes d'un dragon. Mais je voyais dans cet être de légende tout ce qui avait été perdu. Jamais plus on ne verrait sa grâce ancestrale fendre le ciel. Sa flamme était celle des mythes, mais le feu mourrait. Ne restait sur terre que des ombres rampantes et immondes que j'avais combattu comme un damné. Des pensées bien trop sérieuses pour un idiot tel que moi. Je sentais pourtant une lame effilée me transpercer de part en part. Le regard du dragon se fit presque compatissant.

— Notre temps est révolu titan. Le monde est dorénavant dirigé par des forces trop complexes pour des êtres aussi simples que nous. Je sens ma fin approcher, mais avant de m'éteindre, je te ramènerai chez toi. Car il est temps pour toi de rentrer.

— Pourquoi ça ?

— Tu comprendras par toi-même.

N'ayant pas la force de poser plus de questions, je montai sur le dos de la bête qui décolla dans une bourrasque assourdissante. L'air sifflé à mes oreilles alors que nous traversions des nuages bas. Je n'ai pas peur de dire que jamais j'avais éprouvé une telle joie. J'crois être trop maladroit pour exprimer le bonheur de survoler le monde. Mais j'étais pas préparé à voir ce qui m'attendait à l'arrivée. Partout des ruines désertes. J'ai soudain réalisé que j'étais parti pendant presque vingt ans. J'ai toujours pensé que ma terre changerait jamais. Que le temps passerait sur elle, sans jamais l'atteindre. Mais je me trompais lourdement. Des attaques de trolls, des pillards venus du sud et personnes pour les aider. Voilà qui avait scellé le destin de la chaussée des titans. J'étais désemparé, je n'entendis même pas le dragon partir. Je me sentais comme un vestige destiné à l'oubli. Comme je l'ai dit, j'suis pas le plus futé alors j'ai fait la seule chose qui me semblait envisageable. J'ai construit une cahute et suis resté là, seul, à défendre ce qui restait de ma terre. J'étais le dernier titan et je monterai la garde jusqu'à la fin du temps.

Sur la rive, avec le LeviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant