Chapitre 5: Gourou Tiki.

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À six kilomètres du poste, au bout du chemin Dupont et au pied de la montagne, se dressait une sorte de forteresse. Composé, de plusieurs bâtiments, d'une clôture et d'un immense portail qui fermait l'entrée du domaine, le sanctuaire n'abritait pas moins de soixante-dix personnes dont une vingtaine de résidents permanents. La propriété était, aujourd'hui, pleine de fidèles. Ils s'affairaient dans le jardin des Dieux Soleil et Or ou bien dans la salle de prières des Dieux Lune et Argent. Loin de ce brouhaha incessant, dans une petite cahute, faite de palmier, de bambou et de feuilles de pandanus, Tehura Malisi, impatient, faisait les cent pas dans son bureau. Il attendait depuis le matin le rapport d'un de ses fidèles à propos du suicide de Thilda. Cela faisait des années qu'il planifiait le moindre détail de la Haamauruururaa. Tout devait se passer comme prévu, et si quelque chose venait déranger ses plans il était prêt à faire le nécessaire pour l'éviter. Il était dans ses pensées quand John Wango entra en trombe, il avait l'air en colère. « Mais que diable arrivait-il encore à cet homme » se demanda Tehura. Du haut de ses cinquante-cinq ans, il ne supportait pas beaucoup l'agitation des gens, aussi demanda t'il au kényan de se calmer.

-Kutombawewe* Gourou Tiki. Cracha John.(*je t'emmerde en swahili).

-Mais qu'est-ce qu'il t'arrive à toi ?  Il était surpris d'une telle insulte.

-Tu oses me demander ce qu'il m'arrive? Hurla John, tu l'as fait tuer! Je l'aimais, Tehura, comment as-tu osé? On est des partenaires, bordel! S'emporta t-il.

-Partenaire ? Tu me fais bien rire ... Et tu veux parler du fait que tu te tapais une de mes concubines, c'est bien ça? Pourtant il me semblait que tu avais compris la dernière fois.

À ces mots John toucha la balafre qu'il arborait désormais sur sa joue droite. Un frisson le parcourut au souvenir de ce que Tehura lui avait fait. Il se rappela la chaleur, la douleur et surtout le sourire de son bourreau. Le fameux Gourou Tiki les avait surpris, lui et Thilda, ensemble.

Il était tombé amoureux de Thilda dès qu'il l'avait rencontrée; c'était au mois  de mai, il y avait deux ans, lors de son baptême. Il l'avait trouvée tellement belle dans sa tunique blanche, immaculée. Elle ressemblait à un ange. Il avait été subjugué ; malheureusement, il n'avait pas été le seul à la repérer. Tel un serpent, Tehura l'avait approchée, sournoisement, le tout sous le regard dévasté de John; il savait ce qu'il lui réserverait, les coups, les viols, et la torture psychologique. Elle deviendrait une épouse, une reine des Astres. Ils avaient déjà été une quinzaine à avoir subit ceci depuis le début de l'église, car homme ou femme importait peu pour ce psychopathe. John en était malade, mais que pouvait-il faire? C'était  Tehura qui donnait les ordres, il le lui avait bien fait comprendre.

Après quelques mois de tortures, Thilda avait essayé de s'enfuir et son despote avait envoyé John la récupérer; il n'avait eu d'autre choix que d'obéir. Mais, lorsqu'il l'eût ramenée, il insinua qu'elle ne s'était pas enfuie, au lieu de quoi il avait prétendu qu'elle avait voulu cueillir des fleurs et des fruits pour son maître et avait donc quitté l'enceinte de la communauté. Il lui avait ainsi évité de passer la semaine dans les latrines extérieures, punition des rois et reines fugueurs.

Elle lui en fut tellement reconnaissante, que plus tard, quand le Gourou l'autorisa à sortir pour le ravitaillement, elle prenait toujours quelque chose pour son "sauveur". Depuis ce moment-là, une certaine amitié s'était installée entre eux ; et quand, il y a un an, le gourou s'était lassé d'elle, et qu'il lui avait rendu sa liberté en la reléguant au simple rôle de concubine, elle avait pu reprendre le cours de sa vie, mais n'avait pas oublié John Wango. Cependant elle était plus ou moins libre, elle ne devait en aucun cas s'absenter les jours de prières, car elle devait se rendre disponible pour le gourou s'il le souhaitait. C'est ainsi que, grâce à la manipulation, il lui avait insinué, qu'elle devrait se suicider un jour ou l'autre, au bon vouloir de son maître. Malgré tout ceci, John lui rendait visite dès qu'il le pouvait, et ils étaient tombés progressivement amoureux.     Mais après l'incident de sa joue, ils ne s'étaient plus rencontrés qu'en secret. Ça faisait des mois qu'ils se voyaient exclusivement dans sa maison à elle.

Les Témoins de PapeeteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant