13 ans plus tard
Son cœur bat la chamade.
Son souffle s'accélère.
De plus en plus.
Encore.
Il se sent prêt à défaillir. Il en est incapable. C'est impossible. Purement et simplement impossible. Il ne peut pas se trouver là.
Ses doigts effleurèrent le tissu rêche dont était fait le rideau derrière lequel il attendait.
Tout cela était absurde, irréel.
Une main rassurante se posa sur son épaule, le faisant tressaillir. C'était elle. C'était elle qui méritait d'entrer en pleine lumière aujourd'hui. Pas lui. Elle qui le soutenait, elle qui avait posé sa main sur son épaule pour l'encourager, elle qui était si intelligente. Voilà des mois qu'elle l'aidait, qu'elle peaufinait les moindres détails pour que tout soit parfait. Lui, au contraire, n'était pas prêt. Mais le serait-t-il un jour ?
Il regarde sa montre. Plus qu'une minute.
Il expire un grand coup et tente de vider son esprit. Mais il n'y parvient pas. Ce n'était pas son premier discours, loin de là, seulement... il ne s'est jamais exprimé devant autant de personne. Qui aurait cru que ces idées plairaient ? C'était insensé.
Plus que trente secondes. Vingt-neuf. Vingt-huit...
Les secondes s'égrainaient bien trop vite. Rapidement, des images défilèrent devant ses yeux lui offrant un panel de scénarios fictifs où les prochaines minutes se révélaient être une catastrophe. Il tenta de chasser ses pensées inopportunes en se concentrant sur le souffle chaud qui lui chatouillait le cou. C'était une respiration régulière, détendue, bien éloignée de la sienne. Comment faisait-elle pour être si sereine ?
Cinq secondes.
Il devait arrêter de réfléchir. Une bonne fois pour toute.
Il écarta les deux pans du rideau et s'avança sur l'estrade. Il se mouvait de manière automatique : son esprit était comme tétanisé. Il avançait sans regarder autour de lui de peur de chanceler le moment arrivé. Il parvint jusqu'au pupitre sans tomber, sans trébucher ni même faire un pas de travers. Pour l'instant, tout allait bien. Mais pour combien de temps encore ?
Il ferme les yeux et se lance.
⁕⁕
« Aujourd'hui j'ai envie d'y croire un instant. Dans l'espoir que cette seconde fugace se transforme en une minute, puis en une heure, avant de devenir conviction. Aujourd'hui je rêve. Certes de manière bien illusoire mais qui oserait m'en faire le reproche ? Suis-je naïf ? Oui, sans l'ombre d'un doute, et je n'en ai pas honte ! Dites moi pourquoi rêver devrait être une tare à cacher !? L'imaginaire est par essence impossible. Sans l'impossible il n'y aurait jamais eu de rêves, d'émerveillement ou de limites à franchir pour nous pousser toujours plus loin. L'impossible n'a jamais eu la moindre prétention, nous invitant simplement à un voyage au pays des « si » que seuls quelques téméraires transformeront en « comment ». Les rêveurs ont traversé le temps car ils ont osés. Beaucoup vous diront que ma crédulité aura raison de mes espérances. Peut-être, je ne peux le nier. Néanmoins j'aurais le mérite d'avoir essayé pleinement, sans avoir à subir l'aigreur des remords. Mes ailes seront brûlées mais au moins je me serais envolé et j'aurais connu un bonheur ivre le temps d'un vol. Dès lors, les plumes que j'aurais perdues durant ce laps de temps me permettront d'écrire. Ecrire pour oublier. Ecrire pour m'évader. Je suis excédé par cette vision trop terre-à-terre qui est la mienne. Ne pourrais-je donc jamais être oisif ? laisser mes pensées divaguer au gré de leur envies avant de les suivre ? Je ne sais pas à quoi m'attendre de l'avenir, mais l'unique élément que j'escompte est un changement prochain pour me sortir de cette monotonie qui me ronge peu à peu. Pour tout vous dire, je m'ennuie, trop accoutumé à cet univers morne où l'on se complet dans la médiocrité. Si vous saviez à quel point je suis fatigué... Alors, qu'ais-je à perdre en espérant ? Rien. Je suis déjà blasé, dépité par ce monde qui me dépasse. Que puis-je faire si ce n'est imaginer que tout ira mieux si je me bats ? Dans ce monde d'illusions, qu'ai-je à perdre si ce n'est mes rêves? Tant que la plus petite bribe d'espoir subsistera en moi, je m'acharnerai, encore et encore. Seul, cette lutte a un sens qui m'est propre ! Ensemble, ce combat aurait un but qui nous serait commun !
Quitte à me montrer présomptueux, j'ai décidé de clôturer mon discours par une dernière injonction avant de vous dire au revoir. Continuer de rêver ! Votre imaginaire, même invraisemblable, vous appartiendra toujours, et il ne tient qu'à vous de vous y accrocher dans les moments difficiles. Alors lisez, écrivez, peignez mais je vous en conjure rêvez !!!
Sur ce, au revoir, je m'en vais à tire-d'aile vers d'autres horizons »
Ses derniers mots résonnèrent longtemps au-dessus de la foule, trouvant une résonnance particulière au creux de chaque oreille, s'insinuant dans toutes les pensées. Cependant, en écho à ses paroles, seul le silence lui répondit.
Il l'avait fait, il avait réussi à tenir jusqu'au bout ! Pourtant, il continuait de sentir la peur lui nouer les entrailles. En face de lui personne ne réagissait. Pas le moindre son n'émanait du public, pas un souffle, pas un bruit : le calme absolu.
Le souffle court, il tira sa révérence et sortit de scène, dévalant quatre à quatre la volée de marches qui le séparait des coulisses. Dissimulé dans un petit renfoncement, il attendait, inquiet. Son rythme cardiaque s'accélérait de seconde en seconde et son front était perlé de sueur. Il ne savait plus à quoi s'attendre, il s'était déjà tout imaginé : des huées aux acclamations, il avait envisagé des centaines de scénarios différents mais rien ne l'avait préparé au silence.
Le temps semblait presque suspendu. Ce silence marquait une profonde béatitude teintée d'un respect sans borne, même si Indra ne l'avait pas perçu de cette manière. Il angoissait de plus en plus.
Soudain, un homme sortit de sa léthargie, comme libéré d'un songe. Bien que toujours mutique, il se mit à applaudir. Il fut bientôt suivi par une, deux, trois personnes, avant que tous ne frappe dans leur main.
Une minute s'écoula, puis une autre et encore une autre. Les mains continuaient de valser, exprimant par leur baiser les mots que les lèvres ne pouvaient formuler. Ses applaudissements muets en disaient plus long que ce que notre langage était en mesure d'exprimer. Des milliers de cœur vibraient à l'unisson grâce au souvenir de quelques paroles... C'était tout simplement magnifique. D'une sincérité sans fioritures, à la fois belle et touchante.
Indra était médusé. Ce qui se produisait était tout bonnement inimaginable.
Son avenir venait de prendre un nouveau tournant, qui sait où tout cela le mènerait... Mais en cet instant, toutes ses considérations lui semblaient lointaines. Il se laissa gagner par l'émotion, profitant de cet instant éphémère de bonheur.
Une larme coula sur sa joue.
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Envol
Mystery / ThrillerFantasmer est une chose, poursuivre ses rêves sans se perdre en chemin en est une autre.