Chapitre 4

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Indra était assis sur le seuil d'un petit abri de fortune. La tête posée contre le chambranle de la porte, il observait les gens s'affairer en un ballet incessant. Une fois n'est pas coutume, il avait la possibilité de s'accorder un moment de répit.

Un marché s'étendait en face de lui. Les effluves qui en émanaient voletaient dans l'air avant d'aller chatouiller les narines d'Indra. Il s'agissait d'une odeur entêtante, mélange du parfum des épices et du relent exhalé par les teintures utilisées pour colorer les cuirs. C'était une haleine chaude qu'une brise invisible poussait vers le jeune garçon.

Un brouhaha constant occupait l'espace sonore, tandis que chacun négociait, se renseignait ou, comme les nombreux vendeurs à la criée, tentait d'attirer les clients en s'égosillant du matin au soir. C'était un lieu en pleine effervescence où toutes les classes d'âges se croisaient. Alors que les enfants couraient en tout sens et se cachaient entre les étales, leurs mères flânaient en discutant paisiblement, gardant tout de même un œil sur leur progéniture qu'elles rappelaient à l'ordre de temps à autre.


Plus que de simples effluves, plus que de simples sons, c'était un souffle de vie qui allait caresser le visage d'Indra. Toutes ces couleurs, toutes ces odeurs, tous ces bruits l'apaisaient. Sa tête dodelinait doucement, se laissant de plus en plus aller contre les parpaings dont était fait le mur sur lequel il s'appuyait, pris d'une forme de langueur.

Il se sentait bien, il se sentait chez lui face à cette tornade de sensations qui lui parvenait. Il était si agréable de se laisser bercer par ces sons rassurants qui résonnaient en lui comme une douce musique. Il avait toujours aimé observer, du plus loin qu'il s'en souvienne. Légèrement en retrait, il pouvait tout ressentir tout en étant dans un monde à part.

A part... c'est ainsi qu'il se percevait. Même au milieu de la foule, au milieu de ce chaos versicolore, il se sentait seul, perdu, ne sachant où aller. Il appréciait cet endroit malgré tous ces inconvénients : ces cahutes bien souvent insalubres, ces passages minuscules que seul un natif pouvait connaître ou cette poussière omniprésente. En effet, c'était ici qu'il avait grandi, que tous ses jeux d'enfants s'étaient déroulés. Cependant il aspirait à quelque chose de mieux, il espérait plus de la vie que cette misère qui fatiguait tous les êtres.

Il rêvait d'un autre horizon, mais celui-ci restait flou et lointain, quoi qu'il fasse. Indra savait qu'il ne pourrait rester là s'il voulait s'épanouir pleinement, mais il n'arrivait pas à s'imaginer un « ailleurs ». Toute sa vie était ici, alors comment compenser cette perte ? Vers où se diriger ? Vers quoi ? Une indicible mélancolie lui pressa le cœur, entre espérances, déchirements, désespoir et frustrations.


Théophane serait un soutien indéfectible dans cette quête du bonheur, il en avait conscience. Il avait toute confiance en lui et savait qu'il ferait tout pour l'aider, mais cela l'embarrassait : il lui était déjà si redevable. Indra ferait tout pour le remercier. Tout. Lui, d'ordinaire si méfiant, aurait suivi aveuglément son mentor jusqu'au bout du monde. Il savait qu'il possédait des défauts, comme tout un chacun : il pouvait notamment se montrer froid et abrupte, mais cela ne l'empêchait pas d'être dénué de toute vilénie. Pour lui, Théophane était, certes, extrêmement malin mais il était, avant toute chose, incapable de faire du mal ou de tendre des pièges pernicieux...


⁕۝⁕


« Allô ?

- Al... C'est moi.

- ...

- Al ?

- T-Théo ?! C'est vraiment toi ? Cela fait si longtemps. Je me demandais si j'aurais un jour de tes nouvelles..., j'espère qu'il n'est rien arrivé de grave.

- Je suis désolé de mon manque de formalités mais je n'ai pas beaucoup de temps. Je dois faire vite.

- D'accord, répondit très sérieusement son interlocuteur. Ça le concerne ?

- Oui. Je l'ai. On peut passer à la phase suivante.

- Je... je commençais à penser que ce jour n'arriverait jamais, nous...

- Nous pouvons réussir, Al ! J'ai besoin que tu me rejoignes ici, le plus vite possible.

- Je ne peux pas dans l'immédiat, laisse-moi trois mois, le temps que je règle quelques affaires. Tu n'as pas déménagé depuis ?

- Non, je suis toujours au même endroit. Prends le temps qu'il te faut, je comprends, je te prends de court mais dépêche-toi. Je t'attends. Si tu veux mon avis, nous ne serons pas trop de deux sur ce coup-là.

- Bien. Tu crois qu'il...

- Attends ! Tais-toi...

Sur le qui-vive, il écoute les bruits environnants, la conversation, tout comme leur souffle, se fige, dans un profond silence.

- ...Qu'y a-t-il ?... Théo ?

- ... Je dois te laisser, déso... Bip »

Il a raccroché.

Dans le combiné, seule la résonnance magnétique répond, unique trace de leur échange. Al s'assoit, désorienté. 9 ans... 9 ans qu'il attend cet appel. Si court, si décisif... cet appel fait écho à tant de choses, cet appel a tout changé. Espérons juste qu'ils ne se soient pas trompés... Ils n'auraient plus le temps de rectifier le tir.


Tout continue, tout ne fait que commencer.

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