Chapitre 2

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Pdv Carmila :

Voilà un détail que j’avais oublié. Il n’y a qu’une seule classe par niveau. Et comment je l’évite, moi, maintenant ? C’est bien ma veine. Je vous avais prévenus pourtant. La malchance prend un malin plaisir à me suivre à la trace. En plus de risquer de le croiser n’importe quand dans la rue, je vais devoir me le coltiner tous les jours en cours. De mieux en mieux. Je ne sais pas du tout comment je vais m’en sortir. Tout ce que je peux faire, c’est espérer qu’il ne me reconnaisse pas, comme les autres. Le seul hic, c’est qu’il n’est pas comme les autres. Merde.

Quand j’arrive devant le bahut, tous les élèves sont déjà rentrés. Vous croyez que j’arrive malencontreusement en retard suite à une panne de réveil ? Eh bien non. Pour deux raisons. La première, c’est que je suis insomniaque, donc le coup de la panne de réveil, ça ne passe pas vraiment. La deuxième, c’est parce que c’est un retard tout ce qu’il y a de plus prémédité. Laissez-moi vous expliquer. Non pas que je doute de votre capacité intellectuelle, non, absolument pas, et puis je ne vous connais pas, comment pourrais-je vous juger ? Bref, toujours est-il que je ne voulais pas croiser les gens, donc, de fait, j’arrive en retard. Mais attention. C’était calculé à la minute près, pour ne croiser personne, mais en même temps, ne pas être en retard au rendez-vous fixé par le proviseur. Proviseur que je suis d’ailleurs en train d’attendre, avachie dans un fauteuil de la salle des profs. Quoi ? La secrétaire me dit de m’assoir, eh bien je m’assois. Ce n’est de ma faute si elle n’a pas précisé où. Le proviseur arrive et me lance un regard où je peux lire sans aucune difficulté un mélange de choc et de désespoir. C’est sûr que de voir une jeune fille de (presque) dix-huit ans, en mini-jupe noire, collant à têtes de mort, débardeur en dentelle noire, décolleté, chaussures à plateforme et bijoux punks, les yeux et la bouche maquillés d’une couleur que vous pouvez très aisément deviner, installée comme chez elle dans la salle des professeurs, c’est un peu… Choquant, oui. Désespérant, aussi, je vous l’accorde. « Mais qui est donc cette jeune fille qui semble totalement irrécupérable ? ». Il se racle la gorge, comme si ça allait me faire devenir une gentille petite campagnarde tout ce qu’il y a de plus normale, et commence finalement à parler, déçu que son tour de magie vocal n’ait pas fonctionné.

- Vous… Vous êtes bien Ana Wilson ?

Navrée de te décevoir mon chou, mais oui, c’est bien moi. Je vais enfin pouvoir m’amuser.

- Et qui voulez-vous que je sois, hein ? La reine d’Angleterre en visite dans la charmante campagne française ? Pfff. Bien sûr que c’est moi, Ana Wilson.

- Hum… Bien, veuillez me suivre s’il vous plaît.

Je me lève en poussant un soupir exaspéré plutôt… Ostentatoire. Je suis sûre que même la secrétaire l’a entendu depuis son bureau. Je la vois qui se retient de rire, au prix de grands efforts, à en juger par la couleur qu’ont pris ses joues. Le proviseur lui décoche un regard noir quand il passe à côté d’elle. C’est sûr que se faire humilier par la petite nouvelle, ce n’est pas hyper bon pour l’autorité. Je marche le plus lentement possible derrière lui, l’obligeant souvent à s’arrêter pour m’attendre. Je l’exaspère déjà. Bien. Au moins, il ne m’a pas reconnue. Mais comment aurait-il pu ? Une telle métamorphose…

Nous arrivons enfin devant une porte. Le mot « Terminale » est inscrit dessus, en grandes lettes blanches. Enfin, je suppose qu’elles étaient blanches avant, parce que là, elles tirent méchamment sur un mélange de gris et de marron. Très classe. Très underground. Un peu dégueulasse aussi, certes. C’est ma classe. C’est aussi sa classe. Le proviseur entre sans prendre la peine de toquer. Il a besoin de prouver qu’il a tout de même un minimum d’autorité et de respect. Raté mon chou, je sais bien que tu n’en a pas le moindre !

- Je vous apporte la nouvelle… dit-il d’une voix hésitante, comme s’il hésitait à me faire rentrer dans la salle.

C’est bon, je ne vais pas les manger non plus. Le cannibalisme, très peu pour moi. Je rentre. Ils me regardent tous. Je le vois. J’ai peur. Respire, Carmila. Courage.

Tom & CarmilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant