Chapitre 4

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Pdv Carmila :

Je rentre dans la classe. Le proviseur referme la porte derrière moi, sans un mot de plus. Tant mieux, il commençait à m'ennuyer. Le prof qui se tenait debout sur l'estrade était un petit vieux, en chemise. Personne ne lui a jamais dit que quand on a un ventre comme ça, la chemise, c'est le truc à éviter ? Non mais parce que là, j'ai peur de me prendre un bouton dans la face. Ils semblent bien prêts à lâcher sous la pression. Il me dit vaguement quelque chose, je crois que c'est le prof de philo, parce que je ne l'ai jamais eu. Je me force à ne pas regarder les élèves, pour ne pas croiser son regard. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Et je n'ai aucunement envie qu'il voit dans la mienne. Sans façon, merci. Les ricanements des élèves ont enfin cessé, mais le prof n'a pas l'air décidé à parler. C'est qu'il est trop occupé à admirer mon décolleté. Quel vieux dégueulasse. S'il s'imagine ne serait-ce qu'une seconde qu'il peut tenter un truc avec moi, il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Le silence m'énerve, si dans trois secondes il ne parle pas, c'est moi qui vais le faire. Un. Deux. Trois. Bon tant pis pour lui, je vais rigoler un peu.

- Bon, vous comptez me mater encore longtemps ou ça se passe comment ? C'est pas que j'en ai marre de rester debout, mais juste un peu.

Apparemment, les élèves ont un minimum de sens de l'humour. Ils rient. Youpi. Le prof est gêné, ça se voit. Bah oui mon gars, je t'ai chopé la main dans le sac. Enfin, plutôt, les yeux dans le décolleté. Il se racle la gorge maintenant. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à faire ça ? Ils s'attendent vraiment à ce que ça marche ? Désespérant.

Et maintenant il me demande de me présenter. Au moins, j'ai la preuve qu'il n'est pas muet, c'est déjà ça. En même temps, un prof muet, c'est pas vraiment top. Sauf peut-être dans une école de sourds. Et encore. Donc je me présente. Je ne sais pas trop ce qu'ils s'attendent à entendre. Comme si j'allais déballer ma vie à une bande d'abrutis qui ne me connaissent pas. Enfin, qui connaissaient ma moi d'avant. C'est drôle de se dire que je les connais tous, mais qu'eux ne se souviennent pas de moi. Enfin, peut-être qu'ils ont un souvenir, une image de moi, mais ils ne connaissent rien de la nouvelle moi. Donc c'est comme s'ils ne me connaissaient pas. Vous voyez ? Peu importe. Moi, je vois. Je me retourne vers le prof, qui avait profité du fait que je sois dos à lui pour regarder mes fesses. Bonjour la discrétion. Je pense que tout le monde l'a vu. Attends que je trouve une réplique cinglante... Ah, j'ai trouvé !

- Je suis navrée d'interrompre votre contemplation, mais puis-je aller m'assoir, maintenant, ou bien c'est trop vous demander ?

Cette fois encore, j'entends des petits rires étouffés. Bien. Les campagnards savent rire. Vous pouvez noter, ça peut toujours servir et je ne vous en voudrais pas. Il m'indique une place au fond. Fichtre. J'avais oublié. Forcément, avec deux noms de famille en W, on allait se retrouver à côté. Même si ce n'est pas mon vrai nom de famille. Malchance, je te déteste, tu m'as encore rattrapée. Mais un jour, j'arriverai à te semer. Ceci est une promesse. Je fixe ma table, en tentant d'empêcher mes yeux qui crèvent d'envie de croiser les siens. J'arrive à ma table. Il est assis là, à ma gauche. Heureusement, il n'a pas l'air d'avoir très envie d'engager la conversation. Ouf.

Le prof nous fait son speech de rentrée. Je note qu'il n'a absolument pas changé. Je le connais encore par cœur. Tiens, un changement ! Il y a une petite partie sur le bac. Super. Comme si on avait oublié. « Le bac ? Mais qu'est-ce que c'est ? Ça se mange ? ». Affligeant. La seule différence, c'est qu'ici, on ne peut pas choisir entre scientifique, littéraire ou le troisième. J'ai complètement zappé ce que c'est. Ici, on est tous en littéraire. Pas le choix.

Je crois que je vais décéder d'ennui. Je commence à bailler. Bon, mettons un peu d'action. Je lève la main.

- Monsieur, j'ai une question !

Une fois de plus, tous les regards convergent vers moi. Il va falloir vous y habituer, mes cocos, avec moi, vous allez bien vous amuser !

- Oui mademoiselle ?

Il a l'air content. Il croit peut-être que j'écoutais ce qu'il disait. Grossière erreur.

- Je me demandais... Est-ce que tous vos cours sont chiants comme ça ? Non mais faut me le dire hein, parce que si c'est le cas, demain, je prends un oreiller, moi ! Faut pas le prendre mal, c'est juste que les tables sont très inconfortables !

Le prof vire au rouge pivoine. Ou au rouge cramoisi. Je n'ai jamais vraiment pigé la nuance. En tout cas, il devient tellement rouge que j'ai envie de pleurer de rire. Je n'écoute absolument pas la réponse. Je crois qu'il parle vaguement de « renvoi » et d' « exclusion ». Je finis l'heure avec les pieds posés sur ma table. J'ai vraiment cru que j'allais m'endormir. Je crois bien que j'ai vraiment dormi. C'est le brouhaha des élèves qui m'a réveillée. Ils rangeaient leurs affaires (pour ceux qui les avaient sorties, c'est-à-dire une petite minorité) et commençaient à quitter la salle. Je regarde autour de moi. Je tourne la tête à droite, puis à gauche. Je n'aurais jamais du.

Tom & CarmilaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant