9°Le garçon à la capuche°

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Río de Janeiro, 12 décembre 2022, 16 h 45

Quatre jours après son réveil inattendu, Nanda se laissa gagner par sa profonde solitude. La seule visite qu'elle recevait, était celle de sa mère. À chaque fois, elle tentait tant bien que mal de lui expliquer pourquoi toutes les autres personnes auxquelles elle tenait ne lui accordaient plus la même importance. À défaut de lui rendre visite ou même de l'appeler, ils lui avaient envoyé des fleurs accompagnées de cartes de vœux préconçues. Sa chambre en était remplie, mais son cœur était d'autant plus chagriné lorsqu'elle les regardait. Elle commençait à se demander si son rétablissement réjouissait réellement son entourage autant que sa mère le prétendait. S'il n'y avait aucun problème avec le reste de sa famille et ses amis, pourquoi n'étaient-ils pas plus pressés de la retrouver ? Elle pouvait encore comprendre que son père devait s'occuper de ses contrats, mais les plus jeunes s'amusaient juste. À quel point avaient-ils pu changer ?

Cet après-midi là, Nanda revenait d'une séance de kinésithérapie dont elle se serait bien passée. Assise tête baissée sur son fauteuil roulant, elle se laissait pousser par son infirmière. Lorsqu'elles passèrent devant une fenêtre, la jeune fille jeta un regard désinvolte au paysage ensoleillé. C'est alors que, du coin de l'œil, une silhouette attira son attention. Nanda fit signe à son infirmière de s'arrêter pour mieux l'observer. Un pull à capuche noir, un vieux jean, des tennis blancs : c'était lui. La jeune fille le devina non seulement à sa tenue, mais aussi à cet étrange sentiment que sa présence faisait naître en elle. Le garçon qui lui était apparu à son réveil se tenait là, dans la cour de l'hôpital.

Il se tenait près d'un fauteuil roulant et semblait s'adresser au patient assis dessus. Il avait retiré sa capuche ainsi, Nanda pouvait voir ses cheveux. Ils étaient bruns et luisaient sous ce soleil éclatant. Elle apercevait aussi un bout du tatouage naissant à sa nuque et descendant sur son dos.

La jeune fille aurait voulu qu'il se tournât vers elle, afin qu'elle put enfin découvrir son visage. C'est alors que le vent souleva quelques feuilles mortes du sol. Celles-ci virevoltèrent autour de lui avant de s'élever plus haut dans les airs. L'une d'elles vint d'ailleurs s'écraser sur le rebord de la fenêtre d'où elle le fixait. Lorsque l'adolescente la saisit, le visiteur s'immobilisa. Puis, comme s'il cherchait quelqu'un ou quelque chose, il se mit à regarder à gauche puis à droite. Et enfin, il se retourna et lentement, leva les yeux vers elle.

En le voyant de face, Nanda le trouva très beau. Il devait avoir à peu près son âge. Et, comme elle l'avait senti la première fois qu'elle l'avait aperçu, il ne lui était pas inconnu. La jeune fille avait même l'impression d'avoir son nom sur le bout de la langue. Toutefois, elle n'avait aucune idée de l'endroit d'où elle le connaissait.

— Qui est-ce ? demanda finalement l'adolescente en se tournant vers son infirmière.

— Lucas Garido, répondit t-elle après un coup d'œil. Il s'est réveillé le même jour que toi, mais lui est dans un état lamentable. Dieu seul sait quand il pourra parler clairement ou même bouger de lui-même...

— Attendez, de qui vous parlez ?

— Du patient dans la chambre en face de la tienne, déclara l'infirmière en pointant le garçon du doigt.

Confuse, l'adolescente regarda de nouveau la cour pour se rendre compte que celui qu'elle cherchait avait disparu une fois de plus. Il ne restait plus que l'adolescent métissé aux boucles noir qu'il accompagnait.

— Pas celui sur la chaise, je parlais du garçon debout à côté.

— Mais il n'y a personne d'autre !

— C'est parce qu'il est déjà parti, rétorqua la jeune fille étrangement déçue avant de faire signe à Marcia pour qu'elle continue de la pousser.

Flottant dans les airs, le jeune homme de son côté était perplexe. Il y avait à peine une minute, il aurait juré que Nanda le regardait lui. Était-ce réellement arrivé ou le souhaitait-il tellement qu'il prenait à présent ses désirs pour des réalités ? Il était plus probable qu'elle se soit arrêtée à cette fenêtre pour observer les autres patients. Il était plus probable que son attention ait été ailleurs que sur lui. Rares étaient les vivants qui comme Lucas, pouvaient voir au travers du voile. Toutefois, il n'était pas impossible que Nanda en fasse aussi partie à présent qu'elle était revenue de l'autre côté...

Un sourire satisfait se dessina sur son visage. Lorsqu'elle avait réintégré son corps, le jeune homme s'était fait à l'idée que Nanda ne pourrait plus le voir, lui parler ou le toucher. Il s'était résigné à n'être qu'un fantôme dans sa vie pendant le temps qu'il lui faudrait pour tenir sa promesse. Sa seule consolation résidait dans le fait qu'elle ne l'oublierait pas. Hélas, à son réveil, la jeune fille avait perdu la mémoire en plus d'avoir désormais onze ans d'âge mental. Évidemment, pour lui, cela ne faisait aucune différence. Elle était toujours la Nanda qui avait grandi sous ses yeux et qu'il avait aimée au fils des années. Cependant, lui était un inconnu pour elle et, d'après son médecin, l'exposer trop brusquement à la réalité risquait de lui être fatal. Piégé dans cette impasse, le jeune homme avait décidé d'attendre qu'elle se rétablisse physiquement avant d'entrer en contact avec elle. Mais si Nanda pouvait réellement le voir, alors il n'aurait pas à rester tapi dans l'ombre. Il pourrait sans tarder restaurer le lien qu'ils avaient tissé. Il pourrait la récupérer...

Avec cette conviction, l'adolescent s'approcha de l'étage d'où Nanda l'avait observé. Il longea le mur espérant la recroiser à une fenêtre. La salle de kinésithérapie était au deuxième étage. Le jeune homme fit donc le tour du bâtiment, mais en vain. Ce fut à une fenêtre du cinquième étage, qu'il aperçut la silhouette de l'infirmière qui la transportait. Elles avaient dû prendre l'ascenseur pour qu'il les ait perdues de vue.

Sans plus attendre, le jeune homme se téléporta à la fenêtre suivante. Il le refit à chaque fois que Nanda passait sans lui jeter un regard. Puis, lorsqu'elles arrivèrent à la chambre de la jeune fille, il quitta la fenêtre pour se tenir au couloir, derrière la grande vitre qui faisait face au lit de Nanda. Il vit l'infirmière sortir sans s'apercevoir de sa présence. Puis, il dirigea son attention vers celle qu'il aimait.

Nanda était allongée, dos à la porte. Enveloppée dans son drap, elle laissait ruisseler ses larmes sur son lit. Le cœur lourd, le jeune homme traversa le mur qui les séparait. Aussitôt qu'il entra dans la pièce, les ampoules se mirent à grésiller comme à chaque fois qu'il pénétrait dans une pièce munie d'électricité. Cependant, plongée dans sa tristesse, Nanda n'y fit pas attention.

— Nanda, l'appela t-il d'un ton incertain.

— Allez vous-en ! hurla l'adolescente entre deux sanglots sans se retourner. Je ne veux voir personne !

Le jeune homme resta figé un moment, submergé par la vague d'émotions contradictoires qui l'envahissait. Ni la mort, ni la vie n'était parvenue à lui arracher sa Nanda...

A Deep Dreamless SleepOù les histoires vivent. Découvrez maintenant